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sir d’en faire, mais il y entre un plaisir bien moins philosophique, celui de me mortifier ; c’est être bien auteur ! » Auteur ! Combien il l’était, et petitement, ce grand homme !

Il savait plaire. La force et l’étendue de sa pensée, cette énergie, ce vouloir infatigable, les « cent cinquante mille moustaches » aussi qu’il avait sous ses ordres, lui composaient un personnage magnifique. Avec cela, il daignait avoir beaucoup d’esprit et goûter celui des autres. Non plus roi, mais « philosophe », il provoquait la familiarité. Comment n’être pas séduit ? On l’était. Et, le charme subi, la griffe tranchante se rencontrait soudain. Aux heures de cordialité parfaite, les convives des éblouissants soupers pouvaient, chacun à sa façon, penser comme le pauvre Voltaire : « Celui qui tombait du haut d’un clocher et qui, se trouvant fort mollement dans l’air, disait : « Bon, pourvu que cela dure ! » me ressemblait assez. »

On restait peu dans la plaisante mollesse de l’air, le maître vous jetait vite sur le sol rude et blessant. Sa cruauté de vieille fille méchante a infligé les moqueries douloureuses, les humiliations, les mauvais tours à des gens qui n’étaient pas comme Voltaire : agités, indiscrets, brouillons, déraisonnables et irritants. Autour de Frédéric, tout le monde aspire à la liberté. Darget, le secrétaire, d’humeur docile pourtant, n’en peut plus, à la fin il prétexte ses infirmités, s’enfuit, ne revient pas. Chasot, qui, à Molwitz, a sauvé la vie du roi et ensuite expérimenté toutes les manières outra-