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comme il en ferait, tranquille, dans sa jolie bibliothèque. Et lorsque Voltaire, ému malgré ses rancœurs, lui adresse une lettre — un peu déclamatoire, pour le supplier de vivre, il écrit à la margrave de Bayreuth : « J’ai ri des exhortations du patriarche Voltaire. » Il a raison de rire, et le « patriarche » est un peu simple d’imaginer qu’un Frédéric se tue. Il connaît trop son destin, sa force, sa volonté.

Il est indiscutablement grand, et à sa manière, qui ne ressemble à nulle autre ; car il a bâti son œuvre tout seul. Il porte un fardeau sans exemple. Affaires intérieures, extérieures, il fait lui-même, jusqu’aux plus petites choses. Il est son propre trésorier. Il est le général, l’armée : celui qui veut ! Trop méfiant des hommes pour déléguer à aucun la moindre parcelle de son autorité, il est seul responsable de sa grandeur.

Du fond de son petit royaume, cet amateur exclusivement dévoué aux lettres françaises, et qui croyait « qu’un bel esprit allemand était un être absolument imaginaire », révèle l’Allemagne à elle-même et la délivre. Avec Luther, c’est sans doute l’âme la plus activement allemande que l’Allemagne ait produite. On ne peut qu’admirer le grand homme. Puis, quand on a fini, on regarde l’homme, et c’est tout une autre affaire.

Les souffrances de sa jeunesse avaient durci son cœur et déformé son caractère, admet-on généralement. Il souffrit beaucoup, c’est vrai. Cet artiste, ce poète, ce musicien délicat, tendu passionnément