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un voyage

toutes pièces — des chefs-d’œuvre fort anciens… Il y a on n’oserait dire quel rapport secret entre l’orgueilleux musée berlinois et ces équivoques salles italiennes.

… Je revois ce Parisien qui, arrivant à Venise pour la première fois, disait à l’un de mes amis, habitant de la ville et fort renseigné en matière de peinture : « Il me faut plusieurs Guardi. Où puis-je en trouver ? Je n’ai guère de temps. » L’autre objecta qu’un Guardi c’est une rare marchandise qu’on se procure moins aisément qu’un collier de corail, et que, pour le moment, il n’en connaissait pas qui fût à vendre. L’amateur pressé alla vers son destin. Le soir même, rencontrant mon ami à la Place, il cria de loin, tout triomphant : « Que me disiez–vous donc ? Je les ai mes Guardi ! Rien n’était si facile ! À ma première demande, le premier antiquaire m’en a tiré deux d’une armoire, et dans le cours de la journée j’en ai vu bien d’autres. Moins beaux que les miens, il faut l’avouer »…

Peut–être, comme ce courageux français, le directeur du musée berlinois a t-il obtenu à sa première demande le Carpaccio si riche en bitume et beaucoup d’œuvres illustres encore. Quoi qu’il en soit, il a su introduire une harmonie particulière dans cette fastueuse collection, où bien des tableaux, dont les auteurs eurent des façons très contraires de peindre, et vécurent dans des villes et des temps divers, ont entre eux cet aspect fraternel des œuvres nées au même moment, au même endroit et de la même inspiration.