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la wartbourg

cette pièce vidée de toute son histoire, que déjà je ne me rappelle rien des formes et des couleurs qui, une minute, ont insulté mon beau souvenir tenace.

Cependant, n’affirmerait-on pas un sens critique et un goût subtils en renonçant une fois pour toutes à restaurer quoi que ce fût ?

Il n’est permis à personne de restaurer le passé. Les époques aptes à créer un style doivent nécessairement avoir l’instinct d’abolir ce qui les précède pour y substituer leur conception particulière de la beauté. Les époques qui, comme la nôtre, ne créent plus, peuvent encore moins rendre la vie.

Nous sommes tout fiers d’avoir accumulé une telle masse de « documents ». C’est le document même qui nous égare. Quand une heure de promenade dans un musée nous a permis de voir des tombes égyptiennes et des commodes Louis XV, nous pensons être renseignés. Nous sommes embrouillés, pas davantage. Nous composons dans nos demeures une harmonie trompeuse avec des objets de tous les temps, de tous les pays, et nous croyons les comprendre. Mais de ces choses nous apercevons seulement l’unique trait qui les rapproche : l’usure. Leur antagonisme nous échappe, car, à les mêler ainsi constamment, nous cessons de sentir l’âme particulière de chacun. L’habitude de faire voisiner les styles les plus disparates sur une table, dans un livre d’images ou un journal, ne laisse pas le moyen d’éprouver un style quelconque jusqu’en sa profonde signification. Nos yeux ont à peine le temps de s’accoutumer à une forme que