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erfurt

indistinctement la masse pressée et fugitive de tous les hommes aux costumes et aux rêves changeants qui ont marché là pendant les jours, les années, les siècles, et dont, seule, l’usure de ces pierres nous dit qu’ils ont vécu…

Il faut finir la journée dans les champs de fleurs. La sensation défie tout effort descriptif. Des kilomètres couverts de fleurs rapprochées par espèce, et faisant d’énormes taches brutales, et qui ne sauraient se comparer à rien. On avance entre des masses bleues, jaunes, violettes, qui irritent les yeux et causent une bizarre excitation cérébrale. Il faut venir là pour comprendre quelle violence de coloration les fleurs ont en réalité. Nous ne les voyons jamais que réunies en petit nombre, nous ne savons pas le bleu formidable, déchirant, que produisent deux cents mètres de lobélias, ni quel hurlement de fou semble jaillir au-dessus d’un champ de géraniums. Dans cet endroit extraordinaire, on se figure entendre des masses violettes sonnant une grosse cloche, et d’interminables blancs crisser aigrement. Des jaunes vous obligent de fermer les yeux comme devant l’éclair. Les sens confondent leurs témoignages. On est ivre. On tâche à se reprendre, on regarde attentivement le détail exquis d’une fleurette voisine. Mais les autres, les milliards d’autres appellent trop fort, et on replonge ses yeux chauds dans les couleurs frénétiques. On veut