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l’adieu de weimar

Serait-ce, cette mystique poussière, le résidu des actions inutiles, des oublis, des regrets de tous ces morts ? On n’oserait la chasser, — on ne saurait ! Elle est immuable, et si déchirante, et si terrible, la poussière des tombeaux…

Soudain dans la crypte où on a froid malgré le jour d’été, où malgré l’éclairage on ressent l’ombre, il fait moins froid, il y a plus de lumière ; sur deux cercueils de bois, on a lu deux noms : Gœthe, Schiller.

Que les princes aient voulu au milieu d’eux ces hommes, cela achève la beauté spirituelle de Weimar. Mais pourquoi Nietzsche n’est–il pas là, lui aussi, accroissant la gloire de la ville, vouée au culte du génie ?

Des guirlandes de lauriers secs, et des fleurs fraîches surchargent le cercueil des poètes. Des couronnes moins périssables y brillent noblement. Celle de Gœthe est d’or, et d’argent celle de Schiller… Je songe à ces êtres rapprochés par la vie, réunis dans la mort : souverains qui traitaient la poésie en souveraine ; subtiles princesses qui aimaient les poètes, et ces deux si grands qui se sont aimés… Ma rêverie n’a plus la même douceur qu’au jardin où, cachés sous les vives lianes, les disparus sans histoire renaissent dans les brins d’herbe. La mort est ici trop, maîtresse : trop seule ! La pompe lui donne une âcre ironie, une emphase insupportable. Elle encombre tout l’esprit. Les fleurs charmantes posées ce matin sur les terribles coffres qu’expriment-elles ? L’amour ? non point : la mort ! Ceux