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les aveulit pas et communique leur force, elle seule est efficace et légitime.

Nietzsche aurait-il pardonné encore cette pitié que le malheur des très grands inspire aux très petits ? Elle est faite d’un tel respect, d’une telle fierté d’eux, elle ne les diminue pas jusqu’à elle, mais d’en bas monte vers eux comme une prière.

Cette pitié, qui est un accroissement d’amour, j’en éprouve l’émotion grave tandis que je marche par ce musée où sa mémoire imprègne tout comme un parfum tenace.

Je touche avec déférence, le manuscrit de Zarathoustra. Je regarde les lignes que Nietzsche écrivit très peu de jours avant d’être frappé. Je feuillette des volumes qu’il a feuilletés. Et voici une impression de joie, la seule que m’ait donnée l’angoissante maison. Parmi les livres français il s’en trouve de Jules Lemaître, ils ont été lus et relus et sont surchargés de brusques coups de crayon, geste d’assentiment qui dit si bien le plaisir des fraternités spirituelles. Et j’ai joui avec orgueil de savoir, comme s’il me le disait, que Nietzsche admirait l’esprit de France dans le plus subtil des esprits français, et qu’il en avait aimé et senti la grâce, la souplesse, le tranchant vif et la pointe pénétrante et forte.

Mme Förster Nietzsche a bien voulu permettre que j’entrasse dans la chambre où son frère est mort. Cette sœur dont il aimait la gaieté charmante,