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et sa certitude se communiquent. Féroce, tendre, sentimental, violent, il montre les forces contradictoires et si grandes, si vivaces que, loin de les affaiblir, leur lutte éternelle les exalte.

Les visages de sa vieillesse sont plus paisibles — un peu ! — et non moins puissants. L’œil obscurci au voisinage de la léonine chevelure blanche, conserve ses interrogations, sa maîtrise, et le front sa lumière. Même sur le moulage que l’on fit de son masque après la mort, le signe d’inspiration et de domination n’est pas effacé. Les figures mortes, presque toujours, se fixent en une expression de détachement ironique ou vaincue. Ils sont si loin, les morts ! Ce vieillard endormi est là, parmi nous. Le grand sommeil n’a pu défaire le pli impérieux du front ; la bouche sans dents, le dur menton gardent leur volonté : il commande encore !

Lorsqu’on a vu toutes ces images, on comprend pourquoi l’air de la petite maison est héroïque — et si passionné. Pourquoi, encore que ce ne soit pas la maison de sa jeunesse, l’amour y flotte, éclairant, colorant, pénétrant toutes les choses.

Liszt a été un homme d’amour, celui dans l’esprit, la sensibilité duquel on ne trouve aucune de ces cloisons qui défendent si bien les sensuels contre l’amour. La satisfaction du désir rend à ceux-ci la libre disposition d’eux-mêmes. Apaisés, ils échappent un peu — ou beaucoup ; jouissent de se retrouver, et, pendant quelque temps aiment moins. L’homme d’amour ignore ces joies d’avares. Il n’est pas plus constant que les autres mais il est plus fidèle, car,