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les maisons sacrées

l’attention trop avidement fixée sur lui, les éloges de ces gens attirés par le succès et qu’il nommait « les mouches à viande », toute cette grosse monnaie de la gloire heurtait ses nerfs et torturait sa pudeur. Il eut un amour passionné du travail, un respect religieux pour son art, une délicatesse exquise de tous les sentiments. Un de ses héros, près de mourir, envoie en ces termes sa recommandation et son adieu à un être chéri : « Dites-lui, quand il sera un homme, de respecter les rêves de sa jeunesse. » Le jeune Schiller fit des rêves très purs et très beaux, et jusqu’à la mort Schiller devait respecter ces rêves.

Afin que rien ne lui manquât de ce qui rend les glorieux si chers, il souffrit beaucoup. De la pauvreté d’abord, ensuite d’une gêne qu’il était mal fait pour rendre moins pesante : « Il m’est plus facile d’écrire une tragédie, disait-il, que de tenir ma maison. » Et les dettes lui donnaient mal à l’âme, et l’avenir incertain le tourmentait. Il souffrit encore et longtemps de sa misérable santé. Il dut connaître bien des formes de la torture physique, car à sa mort on trouva tous ses viscères dans une affreuse condition : les poumons détruits, le cœur hypertrophié, le foie sclérosé. Cependant, il écrivait Guillaume Tell, Jeanne d’Arc, La Fiancée de Messine. Il fut, du commencement à la fin : celui qui fait de sa vie un poème héroïque.