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dépouillé de faste et tout spirituel. Charlotte von Stein était vraiment la muse qui convenait à ce lieu grave et pensif. Et pourtant, ce fut là justement que Gœthe amena cette petite fille ramassée en un jour de rude désir, et pour qui Sophocle était comme s’il n’existait pas ; — l’humble Christiane, si modestement sûre de son néant, qu’elle ne songea pas à résister le temps d’une minute lorsque M. von Gœthe lui eut expliqué pourquoi il l’avait fait venir. C’était pourtant la maison de Charlotte, cette maison rêveuse…

On y voit deux objets d’une expression si forte qu’ensuite on ne regarde plus rien : une paire de rideaux d’abord, faits de gros tulle où courent des fleurs et des rinceaux. Ils ne sont pas magnifiques, seulement ils furent brodés par Charlotte, et chaque point c’est un peu de son grand amour. J’imagine sa joie puérile, et large comme les joies d’enfants, le jour qu’elle les apporta. Ensemble ils les mirent à la fenêtre, n’en doutons pas. Comme Gœthe était attendri par la constante pensée dont cet ouvrage témoignait ! Comme il les trouva charmants, \ ces pauvres rideaux ! Comme cette petite chose lui fit sentir son amour avec intensité !…

L’autre objet accroché au-dessus du lit, dans la chambre, c’est une corbeille de paille. Lui-même l’a clouée à cette place pour la voir sans cesse. Elle est affreuse, cette corbeille ! Oui, mais c’est la même où, pendant le voyage d’Italie, il mettait son repas lorsqu’il allait en excursion. Il l’a gardée chèrement, rapportée au fond de l’Allemagne. Il