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un voyage

spectacle ? Ou bien est-ce là le trait suprême d’un ressentiment sur lequel tout avait coulé, la réconciliation, la vieillesse, tout ! laissant fraîche et affreuse l’ancienne amertume ? Pauvre ceur !…

Je reste longtemps à regarder la maison de Charlotte von Stein. Elle me fascine.

Les maisons parfois ont un air de retenir jalousement les histoires qu’elles savent. Toutes ces fenêtres pareilles irritent ma curiosité comme un refus moqueur et mélancolique. Laquelle paraissait à Gœthe différente de toutes ? La fenêtre de cette chambre si pleine de lui, où Charlotte dormait et songeait, comment la reconnaître dans cette façade offerte au jour, et qui défend si bien son secret ? Pendant dix années, Gœthe la vit éclairée d’une lumière mystique. Et puis la lumière disparut. Et lorsqu’en passant il songeait à la regarder, lui non plus ne la distinguait pas des autres…

Il faut cesser enfin cette contemplation, pénétrer dans le parc, refaire le chemin que faisait Charlotte quand, aux jours d’été, elle allait trouver son ami dans « la maison au jardin ». Émouvante route ! Elle y goûtait d’avance la joie qu’elle apportait, et sa joie. Elle préparait la causerie, attendait le regard enflammé soudain, qui allait se poser sur elle, — et le baiser peut-être…

Ce parc où j’avance est une admirable création de Gœthe. L’enchantement qu’il donne ne se mêle d’aucune surprise. Bien plus, au bout de vingt pas, on a comme une certitude d’avoir déjà vu ces ombres profondes, ces percées savantes, et les