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les maisons sacrées

quitta cette douce amie. Il l’adorait, mais ne voulait pas embarrasser sa route. Cependant la séparation fut, il l’assure, très cruelle. Enfin, après les larmes nécessaires, il partit à cheval pour regagner Strasbourg. Et tout à coup, venant droit vers lui, il aperçut net, précis, indiscutable… son double ! Un second lui-même, absolument pareil à lui sauf un point : il portait un costume différent, un costume gris. Lorsqu’ils furent près l’un de l’autre le fantôme disparut. Or, plus tard, repassant à la même place, le souvenir de cette étrange aventure lui revint ; et il s’aperçut, non sans quelque trouble, qu’il était cette fois vêtu exactement du même habit gris que portait le double, ce jour où, ayant brisé un cœur, brisé son cœur et copieusement pleuré, il s’en allait par les chemins. Il ne se moque nullement de tout cela lorsque tant d’années après il le raconte.

Son équilibre nerveux n’était pas parfait, avouons-le, ni son imagination constamment joyeuse. On sait qu’avant d’écrire Werther, il eut l’habitude de poser chaque soir sur sa table de nuit un couteau bien pointu, et chaque soir, de discuter avec lui-même si le moment était venu ou non de planter le couteau dans sa poitrine. L’envie de se tuer ne lui était pas particulière. Le goût du désespoir travaillait alors et ses camarades et une immense quantité de jeunes gens par toute l’Europe. Certes ! Et Werther est né de l’atmosphère ambiante plus encore que de la neurasthénie personnelle de Gœthe, Werther, d’ailleurs, est une crise de jeunesse. Oui,