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d’usine, ses vernis insolents, cette voiture brutale qui se hâte dans le domaine de l’immobilité.

Elle s’arrête. Une dame en deuil tout neuf descend ; le chauffeur la suit, portant une gerbe de roses rares. L’automobile reste seule au bord du trottoir, haletante, frissonnante, car son moteur continue de tourner. Ratata brrr ! Ratata brrr ! On n’entend plus que ce dur bruit incessant. Il se dilate, s’étale, occupe l’espace, amoindrit et défigure tout. Les petites chapelles semblent plus petites et si pauvres, les vieilles dalles sont plus vieilles et désespérées. Bruyante, vulgaire, pressée de repartir on ne sait où, on ne sait pourquoi — ah ! si pareille à la vie ! — l’automobile grogne, crache, luit, et l’âme de mémoire et de silence qui erre parmi les tombes s’écarte, offensée.