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public en France, les Français s’entre-regardent, s’entre-jugent c’est un de leurs plus chers plaisirs et le ridicule excite chez eux un mépris meurtrier.

Les Anglais possèdent un sens merveilleux du ridicule ; ils lui ont élevé plus d’un monument impérissable. Le ridicule du vieux Polonius est plat, celui de l’adorable Pickwick pur et beau comme son cœur d’enfant ; l’un et l’autre sont maniés sans cruauté, au contraire, avec une sorte de respect caressant, et ainsi sont traités les innombrables bouffons de la littérature anglaise. Loin d’aggraver les mauvais cas, le ridicule les arrange. Moins grotesque, l’odieux Pecksniff serait intolérable ; grâce à son absurdité, il devient presque plaisant. Les Anglais ne méprisent pas le ridicule, ils l’aiment et l’admirent. Ils ont bien raison ! Chez eux, il exprime une originalité assez sincère pour s’ignorer ; il révèle l’indépendance absolue d’êtres qui, sans prévision des sévérités possibles, étalent leur optimisme ingénu et réconfortant. Ils l’encadrent au hasard, et de travers, dans des circonstances qu’ils mésinterprètent ; n’ayant pas perçu le rythme vital des autres, ils suivent le leur et se meuvent à contretemps ; de telles gaucheries, leurs actes saugrenus, leurs attitudes disproportionnées à l’opinion, des autres mais exactement proportionnées à leur sensation intime, tout cela est drôle à l’extrême, touchant aussi et empreint d’une dignité secrète que le comique ne détruit pas.