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Pascal, le premier, établit une concordance rationnelle entre la syllabe et les éléments qui la composent ; nous lui devons la nouvelle appellation (be, ke, de…), dans laquelle on ne nomme les consonnes que par leur son naturel, en y ajoutant seulement l’e muet nécessaire pour les prononcer. Jacqueline Pascal mit cette méthode en pratique à Port-Royal. Dans une lettre du 26 octobre 1655, elle demande conseil à son illustre frère sur la façon de prononcer les finales s, t, d,… et les sons composés[1]. Le procédé donna de bons résultats et prit place dans la Grammaire générale de Port-Royal (chap. VI). L’abbé de Saint-Cyran s’en servit pour l’instruction de plusieurs princes du sang.

Cependant cette méthode resta ignorée des maîtres des petites écoles. Py-Poulain Delaunay, n’ayant pas eu connaissance des tentatives de ses devanciers, la découvrit une seconde fois. Les frères de Saint-Antoine l’adoptèrent en 1769 et proscrivirent de leurs maisons l’ancienne appellation ; un syllabaire, sous le titre de Traité des sons de la langue française (in-16 de 32 pages), fut même composé par l’abbé Bouillette à l’usage de la communauté. Butet de la Sarthe, en publiant son Cours d’instruction élémentaire (1818), résuma dans une équation bizarre sa critique de l’ancienne appellation ; pour arriver à l’émission de son trê, finale de ils entraient, on fait dire à l’enfant :

té + erre + a + i + é + enne + té = trê ;

Pourquoi étourdir les oreilles d’une foule de sons sans rapport avec la syllabe définitive ? N’était-ce pas aussi ridicule que d’épeler :

dé + i + a + bé + elle + é = esprit malin,
comme on le faisait en certain couvent où le nom du diable ne devait pas être prononcé ?

Malgré ces inconvénients (que bien des maîtres estiment plus apparents que réels) l’ancienne appellation était en usage il y a moins de cinquante ans dans toutes les écoles publiques. Les frères des écoles chrétiennes n’en connaissent pas d’autre.

Il s’est trouvé de soi-disant novateurs pour supprimer radicalement l’épellation ; or, dès 1755, Cherrier qui, « depuis longtemps, fréquentait les écoles des enfants »[2], faisait syllaber dès que l’élève

  1. Cousin, Jacqueline Pascal, p. 250.
  2. Méthodes nouvelles, p. XIX.