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MANDCHOURIE ET CORÉE


Aucun changement décisif n’est survenu dans les affaires de Mandchourie et de Corée, telles que nous les présentions le mois dernier. Il est bien vaguement question de négociations entre le Japon et la Russie, mais rien ne prouve qu’elles soient sur le point, qu’elles aient des chances sérieuses d’aboutir. De cette situation, surtout de l’activité russe en Corée, peut toujours sortir, comme nous l’avons dit, une guerre extrême-orientale. Aussi croyons-nous devoir indiquer chaque mois ses développements, l’attitude prise dans la dernière période par les deux puissances adverses et par les tiers.

On ne saurait considérer comme un changement sérieux l’offre par la Russie de nouvelles conditions, moins dures que celles que proposait en avril son chargé d’affaires à Pékin, M. Plançon, pour permettre « l’évacuation » de la Mandchourie par les Russes. Le 6 septembre, M. Lessar, ministre de Russie en Chine, a adressé au Quai-Wou-Pou une note déclarant que Niou-tchouang et la province de Moukden seraient évacuées le 8 octobre, et que la Russie ne mettrait aucun obstacle à ce que Moukden et Ta-toung-kéou soient ouverts au commerce étranger à partir de cette date, comme il a été stipulé dans le traité récemment arrêté entre la Chine et les Etats-Unis. Ce traité, aux termes d’une note adressée le 15 août par le prince Tching à M. Conger, doit être signé le 8 octobre, au moment même où la Russie permettra à la Chine de l’exécuter.

La Russie s’engage, par la note de M. Lessar, à évacuer la province de Ghirin quatre mois après celle de Moukden et celle de l’Hé-loung-kiang au bout d’une année. Par contre, d’après les renseignements recueillis par le Dr Morrison, correspondant du Times à Pékin, la Russie demande à avoir des débarcadères sur le Soungari, avec le droit de les faire garder par ses troupes. Elle veut aussi conserver des postes sur la route de Tsitsikar à Blagovestchensk. La Russie continuera à avoir son télégraphe militaire le long du chemin de fer. Les agences de la Banque russo-chinoise dans les villes de Mandchourie seront gardées par des soldats chinois. En outre, la Chine doit s’engager à ne céder à aucune autre puissance les territoires qui seront rendus à son administration. Elle ne doit accorder à l’Angleterre aucune concession qui ne serait en même temps donnée à la Russie (ceci est obscur, on se demande de quelle région du Céleste Empire il peut être question, puisque la Russie n’admet certainement aucun partage d’influence en Mandchourie). La Chine ne devra pas augmenter les droits qui frappent actuellement les marchandises entrant en Mandchourie

par le chemin de fer. Si une épidémie éclate à Niou-tchouang, un médecin russe sera nommé pour prendre les mesures nécessaires. Telles seraient, d’après le Dr Morrison, les conditions auxquelles la Russie rendrait aux Chinois l’administration de la province de Moukden, le 8 octobre, et évacuerait les autres provinces mandchoues dans les délais prévus.

L’intérêt que la presse anglaise porte à ces conditions est surprenant, du moment que la nature de l’établissement des Russes en Mandchourie est bien connue en Angleterre. La Russie ne renonce pas à son chemin de fer ni au droit de le garder militairement ; elle n’abandonne donc aucun des avantages décisifs qui lui ont été conférés par ses conventions du 8 septembre 1896 et du 21 mars 1898 avec la Chine. Qu’importent alors les conditions mises à la restitution à l’autorité chinoise d’un pays qui doit rester rempli de troupes russes ? On se demande même pourquoi la Russie les discute si soigneusement. Lors de notre passage à Pékin, on s’étonnait, dans les milieux diplomatiques de cette ville, que le gouvernement de Saint-Pétersbourg continuât à négocier minutieusement avec le Fils du Ciel les conditions de l’évacuation de la Mandchourie. A moins d’admettre qu’avec la connaissance qu’ont les Russes du caractère asiatique, ils eussent l’espoir incroyable de dissimuler aux Chinois la véritable situation en Mandchourie, de se les concilier en les aidant à sauver la face, d’arriver ainsi à maintenir leur influence à la cour de Pékin et d’en obtenir plus tard ailleurs d’autres concessions, on ne trouvait aucune explication. Certains pensaient même que les demandes, présentées en avril par M. Plançon pour l’évacuation de la Mandchourie, étaient un excès de zèle, ce qu’on appelle une « gaffe », qui avait dû fort déplaire à Saint-Pétersbourg. Si cette explication était la bonne, M. Lessar, le ministre titulaire de Russie à Pékin, continuerait à négocier uniquement parce que la Russie s’est trouvée engagée par M. Plançon, et qu’il faut en sortir décemment, en suivant la voie où l’on était entré.

Si l’attitude de la Russie est obscure, celle de l’Angleterre ne l’est pas moins. Les Anglais voient l’apparent illogisme de la situation de la Russie, mais ils ne découvrent pas ce qu’il y a de vain dans leur propre acharnement à discuter toutes les conditions de l’évacuation de la Mandchourie. Ils ne se font cependant plus la moindre illusion sur le caractère de cette évacuation. Après avoir commenté les démarches de M. Lessar, le Times concluait ainsi, le 9 septembre : « La seule chose qui nous surprenne dans ces propositions russes, c’est que la Russie ait jamais cru devoir insister pour les faire accepter. Elle n’a pas et elle n’a jamais eu la moindre intention d’évacuer réellement la Mandchourie, au sens vrai du mot. Elle y est et elle entend y rester. Au commencement de cette année, notre corres-