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ou que l’Européen, représentant la civilisation et les entreprises occidentales, se montre beaucoup plus brutal et grossier que les hommes auxquels il a affaire.

R. C.

LA QUESTION DE MANDCHOURIE ET DE CORÉE


La situation diplomatique semble se détendre en ce qui concerne la Mandchourie : le gouvernement de Washington a obtenu, en théorie du moins, les satisfactions commerciales, les seules qu’il recherchait. Une dépêche du 13 août a annoncé que M. Conger, ministre des Etats-Unis à Pékin, a reçu la promesse écrite du prince Tching de signer avec l’Amérique le projet de traité de commerce, y compris une clause stipulant l’ouverture, à partir du 8 octobre prochain, de Moukden et de Ta-toung-keou au commerce international. Les Etats-Unis poursuivent ainsi la politique que M. Hay avait inaugurée par sa note de septembre 1899 aux puissances ayant acquis, ou pouvant acquérir des sphères d’influence en Chine, et leur demandant de prendre à l’égard du gouvernement de Washington l’engagement de laisser ouverts au commerce universel, sans y établir de droits préférentiels, les territoires qu’elles pourraient dominer dans le Céleste Empire.

De Moukden nous n’avons pas à parler, nos lecteurs savent ce qu’est cette ville. Quant à Ta-toung-keou, port situé à l’embouchure du Yalou, sur la rive chinoise, il n’a qu’une bien médiocre importance. On y exporte surtout du bois et du tussore, la soie du ver du chêne nain.

Les Etats-Unis n’ont pas obtenu sans peine l’ouverture des deux ports. Le prince Tehing avait commencé par résister en arguant de l’opposition formelle de la Russie. Puis, lorsqu’elle eut été levée, il dit qu’il n’était pas informé que la Russie eût consenti à l’ouverture des deux ports. Enfin il refusa en déclarant que la Chine ne pouvait consentir à ouvrir des villes qui étaient entre les mains d’une autre puissance. Il est impossible de savoir si cette résistance des Chinois est spontanée ou bien inspirée par la Russie qui n’a, nous le savons, aucun désir de voir se constituer des intérêts étrangers en Mandchourie. Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis ont fini par obtenir gain de cause : M. Conger a déclaré au prince Tching qu’il ne lui appartenait pas de douter de la valeur des engagements pris par la Russie quant à l’évacuation de la Mandchourie le 8 octobre prochain, qu’il devait à priori considérer le gouvernement de Saint-Pétersbourg comme sincère, et le négociateur chinois, poussé dans ses derniers retranchements, a été obligé de céder.

Il est bien évident que les Russes n’évacueront pas plus la Mandchourie le 8 octobre qu’ils ne l’ont évacuée le 8 avril dernier, à l’expiration du délai fixé par le traité du 8 avril 1902. Tout ce qu’ils feront, s’ils font quelque chose, sera de retirer leurs garnisons des villes pour les installer dans de nouveaux quartiers russes construits à leurs portes. Peut-être cette situation encouragera-t-elle le gouvernement chinois à tenter d’imposer quelques nouveaux délais, d’autant qu’il est certain que ce n’est pas par la Russie qu’il sera poussé l’épée dans les reins pour ouvrir Moukden ni Ta-toung-keou. Peut-être aussi, ces villes étant ouvertes, le gouvernement russe fera-t-il une opposition sourde à l’établissement des négociants étrangers. On sait que, jusqu’ici, sa domination n’est guère favorable an commerce ni aux entreprises des étrangers en Mandchourie. Il est possible que le gouvernement de Washington qui, dans l’espèce, tient surtout à avoir des succès diplomatiques à montrer à l’opinion, n’attachera pas une très grande importance pratique à l’ouverture de Moukden ou de Ta-toung-keou. Mais il ne faudrait jurer de rien : M. Roosevelt est homme à poursuivre avec une grande énergie le succès de sa politique de la porte ouverte en Mandchourie et en Chine. Aussi semble-t-il que les Russes auraient tout intérêt à faire quelques efforts pour s’imposer, envers les négociants étrangers, une tolérance et une bienveillance à laquelle ils ne sont pas naturellement portés, et à ce que leur gouvernement central exige, de la part de ses autorités en Mandchourie, une attitude qui n’est pas toujours celle qu’elles adoptent à l’égard des ressortissants des autres puissances. Le Japon avait vivement compté sur les Etats-Unis ; si ces derniers s’effacent, la Russie respectant leur commerce, il y a une chance de moins pour que les Japonais provoquent une rupture en Extrême-Orient, d’autant que l’Angleterre ne semble nullement les y encourager.

Le gouvernement russe continue sa politique d’absorption ; il vient de lui donner une manifestation éclatante par la création de la lieutenance générale de l’Extrême-Orient, confiée à l’amiral Alexéiev, et qu’une plume autorisée commente d’autre part dans ce Bulletin. C’est évidemment presque une déclaration de la mainmise de la Russie sur la Mandchourie, puisque le nouveau lieutenant général, en réalité un vice-roi investi des pouvoirs les plus étendus, a non seulement sous son autorité la province de l’Amour et le Kouantoune (péninsule du Liao-tong), mais encore la Mandchourie tout entière : l’ukase du 12 août qui crée la lieutenance générale déclare, en effet, que le titulaire est chargé du maintien de l’ordre dans les districts traversés par le chemin de fer de l’Est-Chinois. En même temps, les Russes augmentent leurs forces matérielles. On a annoncé, pendant le mois écoulé, l’envoi de nouveaux navires de guerre en Extrême-Orient. La flotte russe y comprendra bientôt 67 unités. En outre, 15.000 nouveaux soldats sont expédiés à Dalni et Port-Arthur toute la péninsule entre ces deux ports sera convertie en un camp retranché par une série de forts destinés à couvrir la ligne de chemin