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décider à soutenir un ministère dont il était exclu. Une dépêche de Tokyo à l’Agence Reuter, du 5 octobre, disait que le prince Yamagata, le dernier survivant des grands genrô de Restauration, avait fait venir le vicomte Kato et d’autres hommes politiques pour leur faire ressortir la nécessité, en raison des conditions présente du monde, d’appuyer unanimement un gouvernement national, et leur exprimer l’espoir que les brigues et compétitions de partis cesseraient jusqu’à la fin de la guerre. De fait le vicomte Kato, dont les horizons dépassent la politique intérieure japonaise et qui veut continuer à ménager son personnage en vue des grands rôles que son patriotisme lui fait d’ailleurs comprendre, semble avoir admis qu’il lui faut s’effacer pour le moment : on assure qu’il a résisté, dans la réunion constitutive de son nouveau parti, aux orateurs qui proposaient d’ouvrir immédiatement les hostilités contre le Cabinet Terauchi ; il leur a opposé la nécessité de maintenir pendant cette grande crise mondiale l’unité nationale. D’autre part on signale que certains grands journaux, dont on aurait attendu une opposition immédiate à un gouvernement formé en dehors de la majorité parlementaire et du Parlement lui-même, soutiennent le ministère Terauchi, tout en attaquant, pour le principe, le Conseil des genrô pour avoir une fois de plus ignoré les méthodes constitutionnelles.

Quel est l’objet national qui inspire cette discipline et en vue duquel les genrô viennent d’intervenir pour faire constituer un cabinet d’homme de leur choix ? Il va sans dire que l’on en est réduit sur ce point aux hypothèses, car si la politique des groupes parlementaires japonais est pleine de mystères ? — celle des nôtres est-elle d’ailleurs très compréhensible hors des couloirs où elle s’exerce — les vues des genrô sont le mystère même : ces Anciens sont les hommes les plus discrets d’un peuple qui, tout entier, l’est extrêmement.

On a dit que la politique chinoise du marquis Okuma avait paru un peu faible, soit que ce personnage ait passé l’âge de l’énergie, soit qu’il obéisse à certaines tendances qu’il a manifestées, dans une éloquence plus théoricienne et d’une abondance moins contrôlée que la parole de la plupart des hommes publics de sa nation. Le marquis Okuma a nourri par moments des rêves de solidarité asiatique. Il les avoua même une fois, d’une manière assez intempestive, en ce qui concerne les sujets indiens de l’allié britannique. Il a passé pour espérer une entente amicale avec la Chine qu’il se montrait peu disposé à brusquer. Bref le marquis Okuma aurait-il été considéré, en raison de ses tendances où pour toute autre, comme n’étant pas l’homme voulu pour faire entièrement profiter le Japon des circonstances actuelles ?

Ce n’est qu’une hypothèse et elle ne peut s’appuyer que sur quelques très vagues rumeurs venues d’Extrême-Orient. Il faudrait avoir l’esprit très aventureux pour en trouver la justification dans le choix du nouveau cabinet dont nous donnons ci-dessous la composition. Tout ce que l’on peut dire c’est que les hommes d’action, habitués à traiter des questions extérieures ou coloniales, c’est-à-dire à voir plus loin que les limites de l’archipel Nippon, sont fort nombreux dans le nouveau gouvernement. Son président le maréchal comte Terauchi a très énergiquement gouverné la Corée. Il est considéré comme un des chefs de ce que l’on a appelé le parti militaire : nos lecteurs se souviennent sans doute que son obstination à réclamer la création de deux nouvelles divisions japonaises pour la Corée, augmentation d’effectifs que refusait la Diète appliquée à ménager le contribuable, a été une des causes principales des crises ministérielles qui se sont succédé avant l’avènement du cabinet Okuma au printemps 1914. D’autre part, il serait superflu d’insister dans un organe comme le nôtre sur la largeur des vues du vicomte Motono, qui représenta le Japon à Paris de 1901 à 1906. Aucun homme n’est plus capable de voir à la fois grand et sage en la conduite de la diplomatie japonaise. Des noms comme ceux du maréchal comte Terauchi et du baron Motono semblent présager une politique capable de bien discerner, mais aussi de remplir les limites de ce qui est actuellement possible pour le Japon.

Songe-t-on, dans les centres dirigeants de Tokyo, à profiter plus largement des circonstances pour étendre où affermir l’action japonaise en Chine — il ne faut pas oublier que beaucoup de questions restant pendantes entre les deux pays peuvent donner des occasions et que, notamment, l’affaire de Tchang-tchiatong, de nous résumons plus loin, n’est pas réglée ? Veut-on se préparer à consolider, à rendre plus tard indiscutables les avantages que le Japon s’assurerait maintenant en Chine, en donnant à ce pays auprès de ses Alliés le crédit devant résulter d’une participation japonaise plus large à la guerre ? Il faut attendre pour juger de la Signification du changement de cabinet à Tokyo. Mais, même avant de commencer à en voir les effets, s’ils doivent apparaitre au dehors, il est impossible de ne pas se rappeler que l’homme qui va prendre la direction des Affaires étrangères du Japon est le même qui, depuis 1906, a longuement élaboré cette alliance avec la Russie, précisée et déclarée avec plus de force que jamais par l’accord russo-japonais du 3 juillet 1916 que nous avons commenté dans notre dernier numéro. Le vicomte Motono savait augmenter singulièrement par cette alliance la sécurité future de son pays, c’est-à-dire sa liberté d’action.

Quoi qu’il en advienne, l’impression causée en France par la constitution du nouveau cabinet ne peut manquer d’être bonne. Le maréchal Terauchi et le vicomte Motono sontde nos amis. Le premier a complété son éducation militaire en France où