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avantages en échange desquels les Allemands auraient renoncé à leurs prétentions sur quelques-unes des ligneds que l’on désirait voir comprendre dans le futur réseau français du Nord-Est de l’Asie-Mineure. Ces avantages seraient d’ordre pécuniaire. Ils assureraient des disponibilités d’argent pour la continuation des travaux du Bagdad dont les chantiers, ainsi qu’on a pu le voir dans un article de M. Vimard publié par l’Asie Française de juillet, chômaient sur certains points faute de fonds d’autant plus nécessaires que la main-d’œuvre a énormément renchéri dans les pays traversés. À vrai dire, la manière dont a d’abord été annoncé l’accord, ne permettait guère de deviner quelle pourrait être a combinaison pécuniaire adoptée. Le Temps écrivait : « D’après les grandes lignes des négociations la Banque Ottomane rétrocède aux Allemands, c’est-à-dire à la Deutsche Bank, sa participation financière dans le Bagdad, représentée a des titres qui, faute d’admission à la cote de la Bourse de Paris les rendant négociables, sont pour elle un poids mort. Les Allemands rachètent ces titres et renoncent, au profit des Français, à d’autres concessions de chemins de fer… » Ainsi présentée l’affaire était inconcevable pour tous ceux qui ont un peu suivi la question du Bagdad : loin de la repousser, en effet, les Allemands ont toujours recherché la participation du capital étranger à cette entreprise. Si donc ils rachètent celle de la Banque Ottomane, c’est moyennant une compensation pécuniaire.

Cela était évident, malgré la manière dont certains journaux français présentaient les choses en disant que les Allemands éliminaient la Banque Ottomane pour être seuls maîtres du Bagdad : en réalité ils n’ont pas cessé de l’être : la Banque Ottomane s’était bien engagée à prendre 30 % du capital, mais le gouvernement français n’avait jamais voulu ratifier cet arrangement, conclu en dehors de lui, parce qu’il n’avait pu obtenir pour les Français mieux qu’une part subalterne de direction. De là le refus d’admission à la cote qui embarrassait la Banque Ottomane et ne laissait pas aux Allemands l’espérance d’une large participation du capital français. Aussi n’est-ce pas pour nous évincer du Bagdad où nous n’avons Jamais eu qu’une place inférieure, mais bien pour obtenir, comme nous venons de le dire, un avantage pécuniaire, que les Allemands ne feront pas de difficulté à la concession à des Français de certain chemin de fer d’Asie Mineure. Cet avantage consisterait dans la reprise, par la Banque Ottomane, de titres de l’emprunt turc 1911, gagé sur les douanes de Constantinople, pris par les banques allemandes, mais non écoulés dans le public à la suite du refus du gouvernement français d’admettre à la cote de Paris un nouvel emprunt ottoman en l’absence de réformes jugées nécessaires pour assurer la solidité de finances ottomanes. Cet emprunt représente une somme plus forte — sensiblement — que les fonds placés dans le Bagdad par la Banque Ottomane. Il s’agirait de 4 millions de livres contre un peu plus d’un million et demi. La Banque Ottomane pourra donc se rembourser en émettant les titres de l’emprunt 1911 et verser aux Allemands une soulte qui leur laissera des disponibilités pour le Bagdad. Telle serait, d’après ce que permettent de comprendre les dépêches de journaux, et notamment de l’Écho de Paris et du Times, l’économie des arrangements négociés entre les financiers de deux pays. sans aucun doute avec l’assentiment de leurs gouvernements.

Une première réflexion s’impose si on le considère du point de vue public : quoi qu’on en ait dit, le refus d’admission à la cote est une arme qui, maniée à propos, peut procurer des avantages. Si la Banque Ottomane avait pu puiser librement dans le public la part de capital du Bagdad qu’elle s’était chargée de fournir, les Allemands n’auraient eu aucune raison de nous faire des concessions sur le chemin de fer d’Asie Mineure. Il n’est pas mauvais de le constater pour nous qu avons dit depuis des années que, dans toute la mesure du possible, les affaires financières doivent être subordonnées aux intérêts permanents du pays Ceux qui, pour des raisons d’intérêt ou des théories d’économistes auraient préféré la conception contraire qualifiaient celle-là de legs d’un autre âge, de système à la fois barbare et impuissant Les faits viennent de se charger de répondre et de montrer que la subordination que nous n’avons cessé de demander est aussi praticable qu’elle est patriotique.

Comment juger, maintenant, le parti qu’a tiré le gouvernement de l’arme qu’il avait entre les mains ?

D’aucuns se désolent qu’il ne s’en soit pas servi pour essayer de nous donner une part sérieuse dans la direction de l’affaire du Bagdad : nous croyons qu’ils s’attardent dans des regrets superflus. Les Allemands, dans tous les pourparlers, ont toujours montré que s’ils désiraient notre argent ils ne voulaient pas nous laisser participer à la maîtrise de l’affaire. Toutes les négociations tentées par notre diplomatie pour nous y associer sérieusement ont échoué. Leur volonté était si bien arrêtée qu’ils ont préféré subir notre abstention de capitalistes. Peut-être aurait-on pu les décider en 1902, mais notre diplomatie fut paralysée par la politique toute négative de la Russie. Depuis lors la partie était perdue.

Le retrait de la Banque Ottomane n’ajoute donc rien d'appréciable et encore moins de grave à notre effacement sur le Bagdad. Qu’on regrette ou non celui-ci, il est un fait. Et nous n’hésitons pas à dire que si nous voyions sans défaveur des associations de Français et d’Allemands provoquées par le libre jeu des intérêts, nous déclarons tout aussi nettement que nous craindrions avec eux toute association de finance mêlée de politique. Ils cherchent toujours à faire de telles combinaisons le point de départ d’intimités plus grandes. Ils cherchent, en s’appuyant sur