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BULLETIN DU COMITÉ

Mandalay). Cependant, à en croire le correspondant du Times à Rangoun, l’administration des chemins de fer ne serait pas très pressée de continuer le chemin de fer jusqu’à Kunlong-Ferry, parce que lon ne peut pas espérer un trafic rémunérateur : « Jusqu’à Lasho, dit-il, on peut compter sur un trafic qui ira en augmentant annuellement, mais il est néanmoins fort douteux que cette partie de la ligne, qui a coûté très cher, rapporte jamais assez, pendant la durée des prochaines générations, pour payer même les frais d’exploitation. De Lasho à Kunlong-Ferry il y a peu ou pas d’espoir d’un trafic appréciable, soit en voyageurs, soit en marchandises. Aussi ne semble-t-il y avoir aucune raison pour qu’une entreprise commerciale comme la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie pousse la ligne plus loin que Thibaw ou Lasho ; à moins, évidemment, qu’on puisse montrer que le commerce de la partie du Yunnan qui serait drainée par un chemin de fer de Kunlong-Ferry à Chun-ning et à Tali-fou doive être suffisant pour donner une perspective de bénéfices proportionnés aux énormes dépenses à faire. Autant qu’on peut en juger par les récents rapports de nos officiers consulaires, et par l’excellent rapport sur les possibilités commerciales de la Chine méridionale, rédigé par M. Bourne pour la Chambre de commerce de Blackburn, un chemin de fer pénétrant dans le Yunnan par les États-Chans ne paierait pas pendant de longues années.

« Aussi la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie a-t-elle, dans ces derniers temps, dépensé ailleurs ses efforts ; certes, le viaduc de Gokteik est achevé et on construit la ligne des pays Chans sur la moitié de la longueur d’abord projetée ; mais les projets de chemins de fer de frontière ou de transfrontière paraissent avoir été abandonnés. tandis que l’on travaille aux lignes reliant les ports de Bassein et de Moulmein avec Rangoun, la première ne devant pas tarder à être achevée, et la seconde étant tracée. L’une et l’autre seront certainement rémunératrices pour la compagnie et avantageuses pour le public. »

Cette lettre du correspondant du Times est intéressante : la politique anglaise de pénétration en Chine par la Birmanie serait donc moins avancée et surtout moins décidée qu’on l’imagine généralement. Il ne faudrait cependant pas s’y fier et profiter de ces apparences rassurantes pour ne pas pousser avec toute l’énergie désirable la construction de notre ligne du Yunnan. Ce qu’une entreprise commerciale, telle que la Compagnie des Chemins de Fer de Birmanie, pour parler comme le correspondant du Times, peut ne pas vouloir entreprendre, le gouvernement de l’Inde peut fort bien le réaliser — à titre d’œuvre impériale — plus ou moins directement. Sans doute, les difficultés et les dépenses sont énormes et le trafic doit être nul, mais on sait que ce ne sont pas des raisons pour que l’impérialisme britannique recule nécessairement. Nous ne saurions donc nous imaginer que nous avons devant nous un délai illimité pour assurer notre position dans l’arrière-pays du Tonkin. D’ailleurs, le correspondant du Times le fait observer lui-même, le gros œuvre du viaduc de Gokteik a été établi de manière à pouvoir porter une double voie. Cela n’indique pas que les Anglais aient complètement renoncé à y faire passer mieux qu’une petite ligne s’arrêtant bien avant d’atteindre la frontière.

Il est à remarquer que la formidable poussée industrielle des États-Unis vient de se manifester une fois de plus à l’occasion de la construction du viaduc de Gokteik. Comme le pont de l’Atbara au Soudan et plusieurs ouvrages d’art de la ligne de l’Ouganda, le viaduc de Gokteik a été confié à des entrepreneurs américains. La concurrence était impossible pour les Anglais : la Steel Philadelphia Company a souscrit à 20 liv. st. la tonne, tandis les meilleurs souscripteurs anglais demandaient presque deux fois ce prix.

AUSTRALIE

Les premières élections fédérales et le protectionnisme.

Les premières élections de la Fédération australienne viennent d’avoir lieu et se sont faites presque uniquement sur la question des tarifs douaniers. D’une façon générale elles paraissent avoir tourné en faveur d’un protectionnisme modéré. Il semble cependant difficile de se prononcer d’une manière exacte, parce que la terminologie politique a beaucoup varié selon les États de la Fédération. Les candidats se sont fait appeler partisans des hauts tarifs, partisans des bas tarifs (High Tarrifists, Low Tarrifists), protectionnistes et libre-échangistes. Le sens de ces termes variait selon les États.

Quoi qu’il en soit, on croit pouvoir juger du futur tarif douanier par ce qu’on sait être le projet du gouvernement de M. Barton, qui a la majorité. C’est un compromis entre le protectionnisme tel que Victoria le pratiquait avant la Fédération et l’ancien libre-échangisme des Nouvelles Galles du Sud. On fera un tarif assez bas pour rapporter des sommes considérables en laissant passer l’importation, mais pourtant suffisant pour sauvegarder les industries existantes, sans aller jusqu’à permettre l’éclosion de « plantes de serre chaude ». Les droits ne dépasseraient pas 10 à 15 % ad valorem.

Il est à remarquer que des tarifs différentiels seraient concédés à la métropole si elle pouvait faire aux importations d’Australie des concessions équivalentes. Le Canada a déjà accordé, on le sait. un tarif différentiel à la métropole ; c’est même le seul commencement de réalisation de cette union douanière impériale que M. Chamberlain a rêvée, mais qui est si peu conforme aux exigences économiques des grandes colonies, placées de manière que leurs véritables marchés ne sont pas toujours dans l’Empire.

Le Gérant : A. Martial.

PARIS. — IMPRIMERIE F. LEVÉ, RUE CASSETTE, 17.