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DE L’ASIE FRANÇAISE

d’être bien informé, avec plus de précision que ceux qui, après être passés sur un point du pays, viennent apporter de pareilles affirmations. (Vifs applaudissements.) J’ai des éléments d’information autrement sérieux. Mais les derniers événements qui viennent de se passer ne sont-ils pas eux-mêmes une réponse suffisante ?

Eh quoi ! l’Extrême-Orient vient d’être agité par une crise sans précédent, qui ne s’est pas bornée seulement au golfe du Petchili, car s’il y avait des Boxeurs de ce côté, il y en avait un plus grand nombre dans le Kouang-si et dans le Kouang-toung ; ceux-là sont venus jusque sur les frontières du Tonkin, et s’ils n’ont pas pénétré dans la colonie, c’est que des mesures avaient été prises. Ils n’en sont pas moins venus battre notre frontière, et vous pensez bien que les sociétés secrètes de la Chine ne manquaient pas d’envoyer des émissaires pour recruter sur notre territoire des concours qui leur eussent été précieux.

Eh bien ! pendant ce temps, l’Indo-Chine a été comme les peuples heureux : elle n’a pas eu d’histoire (Rires et applaudissements) ou, pour mieux dire, sa paix profonde contrastait. avec l’agitation du grand empire limitrophe et son développement économique allait chaque jour en s’accentuant. (Très bien ! très bien !)

N’est-ce pas la meilleure réponse à des affirmations qui ne reposent sur aucun fondement ? (Nouvelles marques d’approbation.)

La vérité est tout autre et nous croyons la connaître, nous qui sommes en contact quotidien avec des hommes qui, mieux que personne peuvent nous renseigner sur ce qui passe en Indo-Chine, avec des indigènes qui sont des hommes de haute valeur. absolument désintéressés, qui sont devenus nos amis et qui, n’ayant rien à nous demander, nous parlent en toute franchise.

Et je le dis très loyalement, très franchement, bien que cela ne date pas de longtemps, après avoir donné à ce pays la paix matérielle, nous avons fait aujourd’hui sa pacification morale. J’en rends hommage à ceux qui en sont les auteurs, à ces ingénieurs, à ces entrepreneurs, à tous les collaborateurs de ces grands travaux publics qui viennent frapper l’imagination des indigènes.

Quand ceux-ci se sont aperçus que la France n’était pas seulement puissante pour la destruction en temps de guerre, mais aussi puissante dans les œuvres de la paix, qu’elle leur apportait des armes contre les forces malfaisantes de la nature, qu’elle leur permettait de franchir ces fleuves dont la traversée avait coûté jusqu’alors tant de vies humaines, qu’elle apportait de l’eau dans leurs champs quand l’eau du ciel ne tombait pas à l’heure désirée, qu’elle leur fournissait les moyens de transporter et de vendre facilement les produits de leurs terres, qui se vendaient jusque-là à vil prix, — dans les provinces les plus éloignées, en diminuant les frais de transport ; quand les indigènes ont vu tout cela, ils sont arrivés à se convaincre que la domination française était bonne, puisque la paix et la sécurité régnaient à l’ombre de notre drapeau et qu’en quatre années consécutives l’ordre n’avait été sérieusement troublé sur aucun point. La pacification avait engendré le bien-être, une vie meilleure. Les indigènes ont vu que la domination de la France était bienfaisante et ils se sont inclinés devant elle.

Nous en avons trouvé la preuve dans les événements et aussi dans le dévouement de ces braves petits soldats de notre Indo-Chine, auxquels on n’a pas eu recours autant que je le souhaitais, autant que cela aurait été désirable, mais qui ont été les vaillants compagnons de nos soldats de France et qui ont lutté à côté d’eux dans les combats livrés au nord de l’empire chinois. C’est la première fois, on peut le dire, que l’Indo-Chine a joué, au point de vue militaire, le rôle qu’elle doit avoir, car elle doit être pour nous une base d’opérations à la fois commerciale, politique et, au besoin, militaire en Extrême-Orient. (Vive approbation.)

Quand les événements du nord de la Chine ont éclaté, nous les avions pressentis. M. le ministre des colonies sait que nous l’avons toujours informé de notre mieux ; nous lui avions indiqué, avec quelque précision, je crois, ce qui allait se passer. Quand nous avons senti que les événements allaient devenir graves, je n’ai pas attendu que le gouvernement français me demandât si j’avais des troupes à mettre à sa disposition, et, dès la première heure, avant que ses résolutions définitives fussent prises, je lui ai déclaré : « Nos troupes sont prêtes, nous les avons mobilisées, elles sont à votre disposition ; donnez un ordre et elles partiront immédiatement, » (Bravos et applaudissements.)

C’est ainsi que, lorsque les ordres nous sont parvenus, nous avons pu envoyer dans le Petchili des troupes qui ont pris successivement Tien-tsin et Pékin. Vous me permettrez de le dire avec quelque fierté pour la colonie, ce sont des troupes parties d’Indo-Chine qui ont pu prendre ces deux villes. Il était d’ailleurs tout naturel l’Indo-Chine étant une base d’opérations très rapprochée — que nos troupes arrivassent en Chine avant celles qui étaient parties de France.

Nous avons pu envoyer tant à Changhaï que dans le golfe du Petchili six bataillons et cinq batteries d’artillerie. Et cependant, si des éventualités s’étaient produites sur d’autres points, nous avions prévenu le gouvernement que les troupes ne manqueraient jamais à la politique de la France. (Applaudissements.)



M. PAUL DOUMER
GOUVERNEUR GÉNÉRAL DE L’INDO-CHINE


Pendant que nous gardions notre frontière contre toute invasion des Boxeurs, nous nous entendions avec les mandarins chinois, dont le concours nous a été précieux et qui nous ont été constamment dévoués, Et voici qui est pour donner une idée assez singulière de l’unité de cet immense empire chinois : tandis que nos troupes tiraient