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encore acquérir à des conditions avantageuses et lutter à armes égales avec la bourgeoisie.

C’est à celle-ci que les ventes ont surtout profité. Si, au commencement, elle paraît encore assez défiante, elle ne tarda pas à s’enhardir. L’appât était trop tentant pour qu’on y pût longtemps résister. Il fallait surtout éviter le scandale. On y réussissait en achetant par personne interposée, ou par « command ».

À partir du coup d’État de brumaire, la confiance plus grande dans la stabilité du régime augmente la hardiesse et le nombre des amateurs. Des industriels, comme L. Banwens à Gand et bien d’autres se font adjuger des bâtiments conventuels qu’ils transforment en ateliers.

Ce sont naturellement les partisans du nouveau régime qui ont ouvert la voie. Il suffit de parcourir les registres d’adjudication pour y relever les noms de ces « ralliés » : présidents et juges de tribunaux, juges de paix, maires, notaires, membres des Conseils généraux ou des Conseils d’arrondissement. Des conservateurs, des ci-devant, des nobles se laissent entraîner. La phrase de M. G. Lefebvre (Les paysans du Nord pendant la Révolution, p. 489) est aussi vraie pour la Belgique que pour la France : « Quand on peut suivre la destinée de quelques familles d’acquéreurs ou les transferts successifs d’un domaine, ce n’est pas toujours des amis de la Révolution que l’on rencontre chemin faisant ». Quant aux acheteurs campagnards, dont le nombre s’accroît, ce ne sont pas en règle générale des paysans, mais des membres de ce que l’on pourrait appeler la bourgeoisie rurale : brasseurs, meuniers, notables de village.

Autant que je puisse en juger, l’aliénation des domaines nationaux paraît donc avoir tourné en Belgique au profit de la classe possédante. Elle n’a guère augmenté la petite propriété ; elle a surtout dilaté la grande et rendu les riches plus riches qu’ils n’étaient. Des mains du clergé, le sol a passé surtout aux détenteurs du capital. Parmi ceux-ci, d’ailleurs, les « nouveaux riches » semblent en avoir recueilli beaucoup plus que les anciens propriétaires de la noblesse et de la bourgeoisie, de sorte que la grande opération dont on espérait l’égalisation des fortunes a servi surtout à affermir le crédit et à augmenter les ressources des capitalistes au moment même où, vers l’année 1800, le pays prend son essor industriel.

Elle a servi aussi, du point de vue politique, à consolider le régime nouveau introduit par la conquête française. Les acheteurs de biens nationaux, voyant en lui la garantie de leurs acquisitions, en ont été les plus fermes appuis. Il est même piquant de constater qu’après 1815, dans le Royaume des Pays-Bas, c’est parmi eux que la politique anti-cléricale du roi Guillaume recrutera ses partisans les plus convaincus.


Discussion de la communication de M. H. PIRENNE

M. Leclère remercie M. Pirenne de son intéressante communication et souhaite que le sujet tente des historiens.

M. Lefebvre. — La rapidité avec laquelle l’administration française dressa l’inventaire des biens mis en vente s’explique peut-être par le fait que les biens devaient être vendus par soumission, (loi du 28 ventôse an IV), que les acquéreurs, pour présenter leurs soumissions, faisaient eux-mêmes l’inventaire des biens qu’ils désiraient acquérir, ce qui a pu faciliter la tâche de l’administration.

Paulée, dont M. Pirenne a parlé, était un munitionnaire. L’État ne pouvant