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Moyen-âge ne nous donnent en général que des renseignements qu’il est difficile de réduire en chiffres. La confection rapide et la belle tenue des registres font d’autant plus honneur aux agents français qui les ont dressés, que les municipalités du pays mettaient une mauvaise volonté, bien compréhensible, à leur fournir les renseignements demandés.

Ma communication n’a d’autre but que d’attirer l’attention sur une question trop négligée. Je me hâte de dire que je me suis borné à jeter un coup d’œil rapide sur une très petite partie des sources. Amené à m’occuper des ventes lors de la rédaction du tome VI de mon Histoire de Belgique, actuellement sous presse, force m’a donc été, vu l’absence de tous travaux antérieurs, de prendre directement contact avec les documents. La plupart de ceux que j’ai vus concernent le département de l’Escaut, c’est-à-dire la province actuelle de la Flandre orientale. Encore ne les ai-je pas soumis, faute de temps, à une investigation exhaustive. Je n’apporte donc ici qu’une simple impression qui peut-être serait très différente de ce qu’elle est, si j’avais pu consulter des actes plus nombreux et concernant une région plus étendue.

Un fait à relever tout d’abord, c’est la date assez tardive des ventes en Belgique. Elles ne commencent qu’à la fin de 1796, c’est-à-dire après la promulgation, dans les neuf départements réunis, de la loi supprimant les corporations religieuses et autres. Il est vrai qu’il y a eu des ventes dès 1794, mais elles ne s’appliquent, à ce moment, qu’aux biens possédés en Belgique par des établissements ecclésiastiques ou par des émigrés de nationalité française.

Les biens d’origine belge vendus depuis 1796 sont presque exclusivement des biens ecclésiastiques ou, suivant l’expression populaire, des « biens noirs ». On trouve seulement, à côté d’eux, quelques bâtiments et quelques pièces de terre de minime importance ayant appartenu à des corporations de métiers, à des chambres de rhétorique, à des confréries civiles, ou au gouvernement autrichien. Les actes que j’ai vus ne mentionnent pas, ou mentionnent à peine des biens d’émigrés. Ceci se comprend quand on constate que l’émigration proprement dite n’a pas existé en Belgique. Les nobles et les propriétaires qui avaient quitté le pays en 1794 sont presque tous rentrés de très bonne heure. Pratiquement donc, le transfert de capital mobilier produit par les ventes n’a porté que sur les domaines de l’Église, c’est-à-dire sur environ un quart de l’étendue du territoire.

Au début, les acheteurs sont surtout d’anciens moines utilisant les bons qu’ils ont reçus du gouvernement républicain au moment de leur sécularisation, à l’acquisition des terres, que la plupart d’entre eux se proposent de restituer plus tard. On trouve ensuite des notaires ou des hommes d’affaires agissant comme intermédiaires pour des clients anonymes, et enfin des spéculateurs étrangers : la compagnie Paulée, de Paris, des gens du département du Nord, des Suisses de Genève, de Berne, de Lausanne, des habitants d’Amsterdam, etc. Les paysans paraissent s’être abstenus complètement. La cause de cette abstention doit être cherchée sans contredit dans les scrupules religieux qui les empêchèrent de s’approprier des terres dont la confiscation leur apparaissait comme une monstrueuse impiété. L’ascendant que le clergé exerçait sur eux explique suffisamment leur abstention. Elle ne peut guère provenir de leur incapacité d’acheter, car, dans les premiers temps au moins, les ventes se firent à vil prix et tout porte à croire que la population rurale, enrichie par la vente des denrées après la crise économique terrible qui avait suivi la bataille de Fleurus, possédait des économies assez abondantes. La signature du Concordat diminua certainement la réprobation des paysans. Mais alors, il était trop tard pour pouvoir