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première et à la troisième personne : « Ceux qui ne m’obéissent pas... seront punis par les dātus de S. M. Vijaya ». Ce changement de personne, admissible à la rigueur dans un texte un peu long [1], me semble invraisemblable dans le cours d’une même phrase. La difficulté disparaît si l’on prend Çrīvijaya, non plus comme un nom de personne, mais comme un nom de pays. Que l’on se reporte aux trois phrases citées plus haut, et l’on verra que rien, dans le contexte, n’oblige à interpréter Çrīvijaya comme le nom d’un roi plutôt que comme celui d’un royaume. L’absence, déjà signalée, de tout titre royal serait surprenante s’il s’agissait réellement d’un prince nommé Vijava ou Çrīvijaya. Jointe à la difficulté syntactique que je viens de souligner, elle me semble entraîner la conclusion que l’inscription de Bangka émane, non pas de « Sa Majesté Vijaya », mais d’un personnage anonyme qui était chef d’un Etat malais indouisé nommé Çrīvijaya.

On va retrouver ce nom dans une inscription du VIIIe siècle, découverte dans la Péninsule malaise à Vieng Sa (au Sud de la baie de Bandon) [2].

M. Finot, qui a étudié cette inscription sur un estampage rapporté en France par le Ct. L. de Lajonquière, en donne l’analyse suivante (BCAI., 1910. p. 153) : « Le document date de 697 çaka (775 A. D.). Il débute par l’éloge d’un roi Jayendra et d’un roi Çrī-Vijayeçvara, qui fonda un sanctuaire du Buddha (Māranisūdanavajrinivāsam). Il chargea ensuite son chapelain (rājasthavira) Jayanta d’élever trois stūpas ; à la mort de Jayanta, son disciple Adhimukti construisit deux caityas de briques près des trois premiers ».

L’examen direct de la pierre permet d’obtenir une lecture beaucoup plus complète que le déchiffrement de l’estampage (Voir à l’appendice I le texte et la traduction de ce document). L’inscription ne parle pas de deux rois nommés Jayendra et Çrī-Vijayeçvara, mais d’un seul roi dont le nom apparaît trois fois sous trois formes différentes :

Çrīvijayendrarāja (l. 14). Çrīvijaycçvarabhūpati (l. 16). Çrīvijayanrpati (l. 28).

S’agit-il d’un roi nommé Çrīvijaya ? La troisième forme Çrīvijayanrpati peut s’interpréter de cette façon, mais les deux premières me paraissent incompatibles avec une pareille traduction. Dans l’épigraphie indochinoise,

  1. Par exemple l’inscription thaïe de Rama Khamhëng qui débute par un passage en style direct à la première personne, mais qui à partir de la l. 18 passe sans transition à la troisième. Ce changement de personne choque d’ailleurs les Siamois eux-mêmes, et certains veulent y voir la preuve que l’inscription de Rama Khamhëng n’est pas une composition venue d’un seul jet, mais un assemblage de morceaux d’origines diverses.
  2. Et non pas Viengsakadi, comme il est écrit dans BCAI., 1910, p. 149 (n° 15) et 152.