Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/32

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Est-il à craindre que de telles pratiques se généralisent et prennent vraiment le caractère d’une tentative de rébellion concertée de la part des membres des congrégations dissoutes ?

Sans doute au premier moment de l’application de la loi de 1901, ce danger a pu apparaître. L’opinion publique n’a pas vu sans surprise et sans émotion la moitié des écoles congréganistes fermées depuis deux ans se rouvrir presque aussitôt avec le même personnel sous l’habit laïque. Et, prompte à conclure, elle a soupçonné un vaste plan de résistance à la loi par des moyens détournés.

Mais d’abord, en France on ne résiste jamais longtemps à la loi ni par la force ni par la ruse. Il ne faut pas prendre au tragique ni même tout à fait au sérieux les menaces bruyantes des congrégations qui ne veulent pas s’avouer trop vite leur défaite.

Et puis, il faut remarquer que celles qui ont fait mine de vouloir se reconstituer clandestinement, ce sont quelques-unes de ces congrégations non autorisées qui, depuis un demi-siècle et plus, avaient pris l’habitude de vivre en marge de la loi, d’arriver à leurs fins par des expédients et des stratagèmes variés : il n’est pas très extraordinaire qu’avec la ténacité de certains esprits accoutumés à tout attendre de la foi, elles se soient flattées de tourner cette loi après tant d’autres.

De plus, il faut distinguer entre les congrégations. On comprend qu’une grande congrégation internationale ayant son siège, sa direction, ses trésors à l’étranger, puisse avoir l’illusion de tenir tête au Gouvernement français, de ruser avec nos lois et de parvenir à durer quand même, en conservant tout un personnel à sa dévotion. Mais envisageons les centaines de petites congrégations enseignantes de femmes qui font l’objet de la présente loi. Chacune d’elles se compose de vingt, trente, quarante religieuses, la plupart n’ont qu’un seul établissement. Depuis leur fondation elles ont toujours correctement vécu sous l’œil de l’autorité, respectant la loi, ne possédant, n’acquérant, n’aliénant qu’en vertu de décrets réguliers, fournissant à l’État des institutrices publiques. La congrégation dissoute, ce petit groupe de femmes se disperse, chacune va gagner sa vie où elle peut sous l’habit laïque, le seul qu’elle puisse porter. Voit-on cette humble maisonnée de religieuses autonomes qui ne relèvent d’aucune grande fédération monastique se transformant en une troupe de conspiratrices et s’ingéniant à trouver des moyens mystérieux pour rester sous les ordres de celle qui était leur supérieure ? Non, elles accepteront, en pleurant sans doute, l’ordre de la loi ; elles regretteront leur couvent, mais elles ne songeront pas à le rétablir en fraude. Pour la très grande majorité, les sécularisations seront ce qu’elles doivent être, réelles, sincères et définitives.