Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/15

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non plus pour leur seul usage, mais à l’usage des enfants que les familles pieuses leur confieront. Ces hommes, ces femmes dévorés de la ferveur religieuse, ils se disent tout à coup épris de pédagogie, passionnés d’enseignement. Ils ne rêvent plus qu’histoire, grammaire, mathématiques, sciences naturelles. Ce ne sont plus, dirait-on, que des professeurs.

Mais regardez-y de plus près, vous ne vous y tromperez pas.

L’établissement d’instruction ou la maison d’éducation qu’ils ouvrent, c’est bien toujours, comme le public continue à l’appeler, le couvent. Tout y est calcul ; pour que d’incessantes influences pénètrent par les voies les plus subtiles et par les charmes les plus forts au fond de l’âme des enfants. Les maîtres ou les maîtresses y sont tout seuls avec eux ; nul ascendant ne balance le leur ; ils ont le prestige non d’instituteurs ou d’institutrices, mais de personnes sacrées qu’entoure une auréole ; ils ont une autorité que les parents leur concèdent sans réserve et que la loi leur permet d’exercer sans contrôle.

A qui fera-t-on croire qu’ayant charge de ces jeunes âmes dont elle doit compte à Dieu, la congrégation ne mettra pas tout en œuvre pour les pétrir à son image et au gré de l’Église ? Est-ce faire à l’enseignement congréganiste un procès de tendance que de constater la mentalité spéciale qu’il crée ? Des élèves qui auront passé soit toute leur enfance, soit, s’il s’agit d’enseignement secondaire, l’enfance et l’adolescence entière dans un de ces milieux si soigneusement défendus contre l’esprit du dehors, en sortiront, à moins d’une résistance exceptionnelle, tels qu’on a voulu les faire, absorbés par certaines idées nécessairement exclusives, n’ayant jamais rien vu et bien décidés (car il y va de leur salut et de leur honneur) à ne jamais rien voir autrement que sous le jour unique où leurs maîtres leur ont montré le monde.

On a savamment travaillé, comme le dit l’un de ces maîtres, à « développer le sens catholique chez ces jeunes étudiants »[1]. Et c’est ce « sens », cultivé systématiquement et à outrance, au détriment des autres, qui leur fera envisager toutes choses, histoire et morale, philosophie et politique, affaires publiques et affaires privées, du point de vue que nos pères appelaient « ultramontain». A la façon des moines et des religieuses, ils rapporteront tout à l’Église, ils jugeront invariablement la valeur des hommes et des choses d’après l’accord ou le désaccord avec elle, et, comme ils la mettent au centre et au cœur de leur vie et de la vie universelle, c’est d’elle, et d’elle seule qu’ils recevront leurs inspirations.

  1. Le révérend P. Fontaine, S. J.