Page:Buisson, Rapport fait au nom de la Commission de l’enseignement chargée d’examiner le projet de loi relatif à la suppression de l’enseignement congréganiste - N°1509 - Annexe suite au 11 février 1904 - 1904.pdf/10

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« Par l’un de ces vœux, on se détache absolument de ces intérêts considérés comme vulgaires qui consistent à être propriétaire, en d’autres termes à travailler à la prospérité de son pays.

« Par un autre de ces vœux, on se débarrasse de ce que les théologiens ont appelé un second souci. Ce souci, c’est d’avoir une famille, d’appartenir à cette famille et surtout de vivre pour elle.

« Par le vœu d’obéissance, on fait cette chose qui peut vous sembler toute naturelle, qui à moi me paraît précisément la négation de la personnalité humaine, on fait, dis-je (suivant l’expression des maîtres de cet enseignement) « donation de soi-même à Dieu dans « la personne d’un homme »[1].

Or, concluait l’homme d’État auteur de ces trois définitions, « quand de la personnalité humaine vous avez retranché ce qui fait qu’on possède, ce qui fait qu’on raisonne, ce qui fait qu’on se survit, je demande ce qui reste de cette personnalité »[2].

Il n’en faut pas davantage pour nous faire reconnaître dans toute congrégation un organisme artificiellement créé en vue — comme le disait déjà un Ministre de la Restauration — de « changer l’état des personnes »[3].

A la différence de toutes les autres, de toutes les véritables associations, qui sont formées pour aider l’individu dans son développement, la pseudo-association monastique le supprime, car elle l’absorbe. Elle n’existe qu’à la condition que, lui, il n’existe plus : il faut qu’il lui sacrifie son existence. « C’est l’individu qui devient la propriété de l’association »[4].

Par une éclatante infraction générale à notre droit public — « qui proscrit tout ce qui constituerait une abdication des droits de l’individu, une renonciation à l’exercice des facultés naturelles à tous les citoyens (droit de se marier, d’acheter, de vendre, de faire le commerce, d’exercer une profession quelconque, de posséder), en un mot tout ce qui ressemblerait à une servitude personnelle »[5] — la congrégation rend collectivement possible un mode raffiné de cette servitude personnelle, qu’on n’excuserait pas même en le parant du nom, d’ailleurs profondément inexact, de servitude volontaire.

Un tel type de groupement humain, reposant sur un contrat formel de servage — et servage n’est pas pris ici au sens métaphorique puisqu’il s’agit de servitudes s’appliquant aussi bien à la vie du corps

  1. Waldeck-Rousseau. Discours au Sénat, citations reproduites dans son discours à la Chambre, 21 janvier 1901.
  2. Discours de M. Waldeck-Rousseau à la Chambre des Députés, séance du 21 janvier 1901.
  3. Lainé, discussion de la loi de 1825.
  4. Discours de M. Waldeck-Rousseau au Sénat, 6 mars 1883.
  5. Waldeck-Rousseau. Exposé des motifs du projet de loi de 1882.