roide comme un poteau d’alignement et muette comme une sentinelle qui se dérobe, tout en piquant droit devant elle. Où allait cette ombre ? C’est ce que personne n’a jamais su ; mais ce qu’elle était, c’est ce que tout le monde savait.
Le citoyen Blanchet avait été le dernier rédacteur de l’Avenir, alors qu’il ne restait plus à ce journal que deux ou trois cents abonnés, à peine. C’est lui qui le rédigeait tout entier, de la première à la dernière ligne, qui le composait, le corrigeait, l’imprimait et le portait lui-même en ville les samedis soirs de chaque semaine. Il fit ce métier-là pendant un an, je crois, et il l’aurait fait indéfiniment, n’eût-il eu que dix abonnés à servir, si l’apparition, en 1852, du Pays, de ce cher vieux Pays, dans lequel j’ai vidé ma cervelle et mon cœur pendant huit ans, ne fût venue obliger l’Avenir à rendre l’âme sur le sein de son unique rédacteur.
Le citoyen Blanchet parlait à toutes les séances de l’Institut, qu’il fût ou non inscrit parmi les discutants, quel que fût le sujet de la discussion. Il se levait droit comme un paratonnerre, disait à peine « M. le président », pour lui tourner le dos immédiatement après et parler tout le temps qu’on aurait voulu, dans la même attitude, sans bouger d’une semelle et le regard toujours fixé exactement sur le même point.