Page:Buies - Réminiscences, Les jeunes barbares, c1893.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
RÉMINISCENCES

Nous formions au cénacle un groupe d’audacieux et de téméraires qui ne reculaient devant rien, qui abordaient toutes les questions, surtout les inabordables. C’était de notre âge et de notre tempérament. Il était entendu que nous étions tous de futurs grands hommes, et nous le sommes tous devenus, à l’exception de ceux qui sont morts. Le public nous considérait déjà avec une admiration pas du tout mitigée, à laquelle se mêlaient quelques titillations fugitives de vague effroi. En ce temps-là la lutte était terrible entre une autorité intransigeante, impitoyable, déterminée à faire courber tous les esprits, à détruire les plus petits germes, les plus légers souffles d’indépendance intellectuelle, entre cette autorité, dis-je, et ce qui tenait encore de l’ancienne phalange des libéraux restés debout dans la déroute de leurs idées, et continuant à résister dans l’écrasement de leur parti.

Les exigences et les prétentions de cette autorité tracassière et asservissante ne pouvaient conduire qu’à faire des révoltés, et c’est nous naturellement qui étions les révoltés, puisque nous voulions ni laisser nos fronts ni nous soumettre à une tyrannie qui aurait fait rapidement, des jeunes gens de Montréal, rien autre chose que des ilotes et des ressorts de gouvernement absolu.

Aussi les séances du cénacle ne ressentaient-elles parfois des colères qui bouillonnaient dans nos âmes. Mais là nous étions simplement entre nous. C’était à l’Institut-Canadien qu’il fallait nous voir, sur ce dernier rempart de la liberté d’idées et de