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RÉMINISCENCES

entier, en le glissant d’abord par le chenal Saint-Pierre, creusé pour cette fin jusqu’aux entrailles du globe. Non, si Montréal avait alors les pressentiments de sa grandeur prochaine, elle n’en avait pas encore toutes les audaces ; elle avait encore quelque mesure dans ses témérités et il arrivait qu’on rencontrât de temps à autre un Montréalais qui consentît à marcher sur terre.

C’était au temps où l’on commentait les démolitions de la rue Notre-Dame, où l’on comblait le fossé de la rue Craig et les marais de la rue Sainte-Catherine, laquelle ne dépassait guère alors le Beaver Hall, du côté ouest, au temps enfin où la rue Saint-Denis comptait tout au plus une vingtaine de maisons, qui avaient l’air de se demander par quel hasard elles étaient plantées là.

En haut, sur la côte, qui n’avait pas encore été abaissée et domptée sous les tramways triomphants, se dressait, dans un isolement dédaigneux, la grande maison de M. Lacroix, maison hospitalière par excellence, dont la moitié était occupée par la famille d’un homme qui a été le plus aimé de son temps et le plus regretté de ceux qui ne sont plus, de M. Wilfrid Dorion, dont il suffit de rappeler le nom pour que les souvenirs les plus agréables et les plus chers arrivent en foule au cœur de tous ceux qui l’ont connu.