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RÉMINISCENCES

Notre génération appartenait à l’époque de transition entre le Canada ancien et le Canada nouveau. Nous avons connu le vieux Montréal, celui que nous avaient légué nos pères, avec une physionomie qui se modifiait lentement et imperceptiblement par l’action d’un progrès mesuré et longuement prévu. Nous l’avons connu, habité et pratiqué à l’époque où il n’était pas encore question d’élargir une seule de ses rues, encore moins d’en faire une de ces énormes cités modernes où les hommes oublient la petitesse de leur planète. Nous avons ainsi formé le trait d’union entre une société qui s’éteignait et une société nouvelle qui s’annonçait avec des goûts, un esprit et un genre inconnus jusque-là. D’un côté nous tenions aux fusils à pierre, de l’autre nous chargions par la culasse.

C’était à l’aurore d’un monde encore vaguement entr’aperçu, où l’illusion fait un dernier effort pour ne pas devenir la réalité et où les mille images d’un passé, qui ne laissera bientôt plus aucune trace, s’agitent encore dans l’esprit des hommes et essaient de retenir dans un lit trop étroit le fleuve qui veut s’épancher dans un vaste et profond bassin.




Ah ! Il ne faut pas croire que Montréal ait toujours été la première ville du monde ni qu’elle ait eu de tout temps l’ambition parfaitement légitime d’englober dans son sein le continent tout