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RÉMINISCENCES

Voici maintenant Lusignan, dont je ne puis évoquer que l’ombre devant vous, car il nous a laissés, il y a bientôt deux ans, pour d’autres mondes dont le moindre est bien supérieur au nôtre. Il est mort avant d’avoir atteint la cinquantaine, après s’être fait une belle place dans les Lettres canadiennes et au moment où entraient en pleine maturité tous les fruits de son long et persistant labeur. Il est allé en cueillir d’autres plus haut, et il a bien fait de se hâter, car l’envie le guettait peut-être maintenant qu’elle le voyait en possession d’une renommée vaillamment acquise.

Lusignan était déjà lancé à fond de train dans le journalisme. Il y allait avec une « furia » qui lui a attiré plus d’un incident désagréable, mais dont toute trace est aujourd’hui perdue depuis longtemps. Ce qu’il était avant tout, c’était un amoureux des Lettres ; il adorait la grande littérature, celle des maîtres. Il avait un tempérament capricieux, plein de heurts et de pointes, présentant des angles subits et souvent difficiles à tourner, mais au fond nature généreuse, d’une fidélité éprouvée à ses principes, et possédant, outre les dons intellectuels, des qualités précieuses d’écrivain que l’on trouve bien rarement aujourd’hui, la sincérité et la conviction.