Page:Buies - Réminiscences, Les jeunes barbares, c1893.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
18
RÉMINISCENCES

guère qu’à une clientèle choisie, éminemment fine fleur, endroits où l’on était sûr, à quelque heure que ce fût, de ne pas coudoyer des gens que l’on n’eût pas aimé à rencontrer ailleurs, et qui étaient l’expression d’un temps où il y avait encore beaucoup de mœurs aristocratiques et beaucoup de distinctions sociales.

Telles étaient l’ancienne maison de Dolly, à deux pas du St-Lawrence Hall, celle de Gianelli sur la Place d’Armes, et deux ou trois autres qu’il est inutile de mentionner ici.

Il y avait encore, si l’on veut remonter à une trentaine d’années au moins, d’un genre plus bourgeois mais néanmoins encore très comme il faut, le vénérable hôtel du Canada, tenu par le père Séraphino Géraldi, lequel avait pour gérant Joseph Brault, nommé plus tard messager en chef de l’Assemblée Législative, lorsque la Confédération étendit sur les provinces de l’Amérique britannique son aile chargée de promesses et de perspectives luxueuses. Ah ! le bon vieux temps ! Et qui donc eût pu soupçonner alors qu’une ville canadienne pût devenir, en vingt-cinq ans, une des grandes métropoles du continent américain ?…

Le soir, dans le vestibule de l’hôtel, se réunissaient, en un groupe grossissant d’heure en heure, les voyageurs arrivés de toutes les parties du district de Montréal. Il n’y avait là pour ainsi dire pas d’étrangers. On se racontait les affaires du jour autour d’un gros poële ronflant et sympathique ; on parlait un peu de son village, du grand-père mort la semaine précédente, de la vieille tante tanée par ses rhumatismes, de la