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LES JEUNES BARBARES

Hélas ! Hélas ! Est-il donc vrai que cet état de choses soit décidément sans remède ? Sommes-nous donc voués à une infériorité fatale, et devrons-nous nous débattre indéfiniment, sans espoir, sous le poids de ce cauchemar ? Devrons-nous ronger éternellement un frein indigne d’hommes libres ? C’en est fait de la race française en Amérique, si une instruction virile, sérieuse et libre, n’est pas enfin donnée à notre peuple. Car c’est nous qui, en somme, constituons la base de l’élément français sur ce continent ; c’est nous qui formons la charpente de cet élément, à laquelle viennent se rattacher tous les fragments épars ; c’est nous qui sommes l’âme de cet élément, qui rassemblons en nous toutes ses forces vives et toutes ses capacités reproductives. Sans nous l’élément français ne serait qu’une forme éphémère, un fait divers perdu dans l’existence de la grande famille américaine. Sans nous enfin, tout ce qui constitue la vie propre d’une nationalité, les traditions, les qualités natives, les liens du sang, la communauté des sentiments et des aspirations, tout cela n’existerait même pas ou n’aurait aucune cohésion, aucun point d’appui, aucune condition de vitalité.

Or, l’élément français est destiné à vivre et à se perpétuer dans le nouveau monde. Ce n’est pas par un pur hasard que le peuple canadien, si débile à l’origine, si isolé, si entouré d’éléments destructeurs, a passé à travers trois siècles d’une vie essentiellement distincte, s’est maintenu en dépit de tout et a formé aujourd’hui cette nationalité imposante de plus de deux millions d’âmes, qui est un phénomène historique et une véritable énigme pour l’observateur étranger.