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LES JEUNES BARBARES

ne naît avec l’intuition des règles de l’art ou du style. Plus on apprend et plus on découvre ce qu’on a à apprendre ; bien plus, on ne se corrige jamais autant que lorsqu’on est le plus près de la perfection.

Quand bien même encore vous mettriez deux ou trois ans à apprendre comment exprimer convenablement vos idées, cela n’est toujours bien pas plus long qu’un apprentissage ordinaire, et vous en avez besoin, grands dieux ! comme vous en avez besoin !

Étudiez non pas les « décadents », comme vous en avez évidemment l’habitude — les décadents sont des aliénés qui stationnent aux portes du sanctuaire et qui déroutent les néophytes, — mais étudiez les maîtres. Notre siècle si décrié, si calomnié, en compte peut-être plus que les autres. Jamais la langue française, malgré toutes les absurdités qui la compromettent journellement, n’est arrivée à une telle perfection dans les détails et à une expression aussi parfaite des plus délicates et des plus difficiles nuances. C’est ce qui en fait aujourd’hui l’ornement du peuple le plus civilisé du monde.

Pénétrez-vous de la clarté lumineuse du génie français, de la méthode et des procédés des maîtres. Vous trouverez peut-être que c’est dur de commencer par le commencement ; mais on n’arrive à rien en commençant par le milieu. Hé ! mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que quelques années bien employées quand on est jeune ? Vous vous rattraperez vite.

Appliquez-vous avant tout à avoir du bon sens. Le bon sens, c’est la qualité par excellence du français.