Page:Buies - Récits de voyages, 1890.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
à travers les laurentides

naliers, et dont on aurait pu faire au besoin une salle de conférence. Cette maison, construite par un homme de Saint-Raymond, était dirigée par ses deux sœurs, deux vieilles filles pointues, serrées, pincées, escarpées, emboîtées comme des mortaises, effilées et tranchantes, qui ne connaissaient que deux ou trois mouvements automatiques, toujours les mêmes, se tournant, quand elles se tournaient, comme la faulx qui abat la tige au ras du sol, ayant toutes les formes géométriques, triangulaires, quadrangulaires, rectangulaires ; avec cela une ossature, des reliefs si tranchants qu’on n’aurait pu les toucher sans se couper, acerbes, acides, suintant le vinaigre, sans jamais un sourire ni une bonne parole, maussades et désagréables pour le plaisir de l’être, vous apportant du thé quand vous leur demandiez des patates, vous répondant, quand elles succombaient à cet excès de complaisance, par un oui ou un non si sec que la bouche leur en claquait ; mais actives, âpres à la besogne, toujours sur pied, glissant d’un bout à l’autre de la maison dans une allure fantômatique, et remplissant assez strictement leurs fonctions d’hôtesses pour réussir à garder leurs pensionnaires, pauvres gens qui n’avaient pas le choix entre la terre dure et le toit de ces deux haridelles.