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récits de voyages

Il est impossible d’imaginer rien d’aussi pittoresque que ce groupement, fait comme au hasard et cent fois répété, d’îlots, de toute forme et de toute grandeur, qui émergent à travers les flots dorés, comme des nids remplis de mousse et de sapinage, ruisselants de fraîcheur et de verdeur, sous un ciel d’azur et de pourpre.

Ces îlots, qui ne sont souvent qu’un rocher au travers duquel ont poussé quelques sapins, épinettes ou bouleaux, ont pris à loisir, suivant leur bon plaisir et le plus arbitrairement du monde, toutes les positions qu’ils ont voulues : dans nôtre grand fleuve, bon et facile comme un géant, et l’ont forcé à se créer une foule de chenaux qui courent dans tous les sens, et qui, à chaque instant, apportent quelque surprise nouvelle au regard enchanté et ravi.

En parcourant leurs multiples dédales, le bateau semble errer comme à l’aventure, ou s’être égaré sans pouvoir retrouver sa route. On perd de vue les deux rives ; il n’y a plus de fleuve, pour ainsi dire, mais un fouillis de passes, au milieu desquelles le vapeur s’engage en tournant, contournant revenant, retournant, comme s’il faisait un jeu de zigzag affolé. Quelquefois il glisse si près des îles qu’on peut jeter un caillou sur leurs