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presque désertés, sous le poids de ce nouveau coup.

Il y avait là pour nous, canadiens-français, quelque chose de douloureux. Quoi ! l’Angleterre était favorisée à nos dépens, quand une occasion se présentait pour la France de reconnaître ce que nous avions toujours été pour elle et avec quel bonheur nous avions salué le renouvellement de nos relations interrompues avec elle pendant un siècle ! Une semblable omission ou un semblable oubli nous était doublement pénible, et cependant nul d’entre nous n’en accusa la France ; au contraire, nous partageâmes ses douleurs patriotiques et nous subîmes la taxe dont elle frappait nos chantiers comme une contribution de notre part à ses désastres et au paiement de sa dette envers l’ennemi. Nous souffrîmes en silence, comme insensibles au coup qui nous atteignait si durement, et ce fut d’Ottawa que partit la première plainte, lorsqu’un ministre fédéral appela l’attention de la chambre sur cette situation, durant la session de 1875, en ajoutant que des démarches faites à Versailles par l’ambassadeur britannique pour obtenir l’accession du Canada aux avantages stipulés pour les constructions anglaises, avaient été repoussées. Cette nouvelle répandit dans la presse anglaise de Québec une émotion très-vive, et le Chronicle, principal organe de cette ville, ne craignit pas de s’exprimer en ces termes :

« C’est la première fois que le Canada n’a pas été considéré comme une portion intégrante de l’Empire Britannique ou que les Canadiens n’ont pas eu part aux prérogatives des sujets anglais, comme les populations d’Angleterre, d’Écosse ou d’Irlande. Les auteurs du traité, du moins ceux qui l’ont signé au nom du gouvernement impérial, semblent avoir oublié le fait qu’il existe une partie de l’empire appelée Dominion Canadien, ou bien avoir agi sous l’inspiration de cet esprit égoïste, exclusif, avide de monopole, qui de tout temps a caractérisé les marchands et les manufacturiers anglais. Nous pensons que telle est la seule explication plausible de la lacune dont nous sommes victimes dans le traité entre la France et l’Angleterre, et qui, si l’on n’y porte remède, affectera sérieusement une de nos industries les plus importantes. »

Ce passage, quelque peu irrité du Chronicle, témoignait de son ressentiment pour une injustice réelle et d’une surprise patriotique profonde à la vue d’une grande nation sacrifiant, dans un intérêt relativement secondaire pour elle, les intérêts majeurs d’une colonie loyale entre toutes.

Mais le Chronicle ne fut pas le seul à s’émouvoir ; de richissimes armateurs de Québec, MM. Ross et Cie, commencèrent à leur tour des démarches pour faire adoucir la taxe de quarante francs par tonneau, mais ils échouèrent dans leurs tentatives, parce qu’il eût fallu, pour réparer l’omission de l’Angleterre, un nouveau traité ou