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se hâtera-t-il ? Hélas ! nous craignons bien que non, puisque derrière lui se dresse le fantôme à gorge aride du teetotalism qui le menace de lui retirer son adhésion s’il a le malheur d’écouter la voix de nos intérêts.

Nous savons donc maintenant à qui nous en prendre si les négociations ne sont même pas entamées ; mais c’est là en vérité une consolation trop maigre pour qu’on s’en contente. Que notre politique coloniale, déjà si restreinte, en soit réduite, lorsque des intérêts majeurs sont en jeu, à subir les exigences de quelques fanatiques outrecuidants, c’est ce qui dépasse la mesure. Nous sommes très grands, nous nous en vantons tous les jours, nous nous étendons du Pacifique à l’Atlantique nous comptons sept provinces, futur empire, nous entreprenons des chemins de fer de mille lieues qui ne coûtent que cent cinquante millions de dollars, nos ressources sont presque illimitées, comme les espaces qui les renferment, nous projetons de faire un jour contrepoids à la grande république américaine, et notre gouvernement se trouve arrêté dans son action vis-à-vis d’une puissance européenne par quelques buveurs de thé et d’eau à la glace qui en veulent à la nature ! Nous ne ferons pas de commerce avec la France, parce qu’il y a de gros anglais nerveux qui sont pris de spasmes à la vue d’une bouteille et qui voient la fin du monde dans un verre de vin ! Nous avons une occasion rare de sortir des coteries, d’une atmosphère politique chargée d’intrigues, pour entrer en relations directes avec une grande nation, pour nous faire connaître et nous accuser au dehors, pour élargir notre sphère, nous préparer à la vie diplomatique future, et notre gouvernement redoute d’envoyer dans un pays extrêmement bien disposé en notre faveur, un simple délégué commercial qui traitera de privilèges importants pour la province !

Voilà qui est grand ! Voilà qui s’étend du Pacifique à l’Atlantique ! Voilà une manifestation glorieuse de la nationalité canadienne, cette géante couchée entre deux océans, sur des prairies sans fin et des lacs vastes comme des mers !

Serait-il possible de trouver un exemple mieux fait pour démontrer de quels mobiles mesquins se compose forcément une politique coloniale, combien nous laisse petits toute notre étendue de territoire, puisqu’il nous manque l’étendue du caractère, les notions larges et la hauteur dans les vues. Et certes, ce n’est pas un gouvernement plutôt qu’un autre qu’il faut accuser de cette situation. Tous les gouvernements de colonies subissent une nécessité fatale ; on ne peut s’affirmer ni posséder la grandeur réelle sans la responsabilité ; or, les gouvernements de colonies ne sont pas responsables vis-à-vis des autres peuples ; ils sont à l’abri de la responsabilité de la métropole, ce qui fait qu’ils ne peuvent s’élever et qu’ils restent sous l’empire des coteries.