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ment, où le cap Tourmente, émergeant tout à coup du fleuve jusqu’à une hauteur de deux mille pieds, commence une série de monts qui se baignent dans le St. Laurent, se dressant libres et droits comme des géants de pierre, en rejetant derrière eux leur sombre chevelure qui va flotter de cime en cime, de plateau en plateau, jusqu’à ce que l’œil la perde dans un horizon teint de toutes les couleurs des nuages.

Ah ! quelle est belle cette âpre et farouche bordure du St. Laurent, et combien, pour la voir seulement, vaut la peine qu’on se mette en route ! Et puis, on aspire, pendant la moitié du trajet, ces senteurs vivifiantes et parfumées du matin qui arrivent des rivages, mêlées à celles qui s’exhalent du fleuve avec toute leur fraîcheur saline. Que tout cela est beau autant que bon ! Dites-moi, quel apéritif équivaut à une heure passée avec le soleil levant, sur le pont de l’Union ou du Saguenay, alors que l’astre, gravissant de plus en plus l’horizon, inonde de sa lumière la nature sans l’embraser encore, et que l’air, chargé d’arômes, pur et vigoureux, s’engouffre dans les poumons avides, dans les gosiers haletants ! Dites-moi, quel plaisir, quelle joie valent cette ivresse des sens, ivresse tranquille et fortifiante qui entre par tous les pores, qui court par toutes les fibres et qui remplit en même temps l’âme tout entière ! Ah ! Dieu est bien bon, de temps à autre, pour sa misérable créature, et la compagnie du St. Laurent mérite bien tous les transports de notre reconnaissance !  !