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De tous ces lieux de rendez-vous, Kamouraska était, je viens de le dire, le plus fréquenté et le plus connu. Une ancienneté plus haute et de nombreuses traditions s’y rattachaient. De grandes familles et des hommes célèbres y avaient demeuré ; on y raconte même encore des drames émouvants et trop réels, qui sont restés dans la mémoire de deux générations. Le manoir, un des plus anciens de la rive sud, dans le bas St. Laurent, avait reçu pendant un quart de siècle tout ce que le pays renfermait d’hommes éminents dans la vie publique, ou distingués par la naissance et la position ; enfin, Kamouraska, comparé aux autres places encore naissantes, avait tout le prestige d’un passé plein d’intérêt et d’un présent plein d’attraits, qui l’enveloppait d’une sorte d’auréole magnétique en laissant l’ombre sur tout le reste.

Mais, de nos jours, il n’est pas d’endroit qui ait autant changé, qui ait subi davantage les atteintes brutales d’un état social devenu tout différent, presque sans transition. On y cherche en vain les nombreuses familles si joyeuses, si hospitalières, si vraiment canadiennes d’autrefois ; à peine en reste-t’il deux ou trois, affaiblies, démembrées, qui n’ont plus ni les mêmes ressources ni les mêmes goûts, qui se trouvent dépaysées dans cette variété de voyageurs composée, chaque année, d’éléments de plus en plus divers et mal assortis, et qui, enfin, préfèrent vivre dans une retraite de leur choix qu’au milieu d’un monde qui ne leur convient plus.