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Toutes les mauvaises passions ont continué d’être les idoles auxquelles la raison et le sentiment viennent tour-à-tour sacrifier : l’égoïsme a poussé à la fausse gloire, et il n’est presque pas de héros d’un peuple qui ne soient en même temps les bourreaux d’un autre. C’est ainsi que tous les grands noms de rois, de conquérante, ont reçu le baptême du sang, c’est-à-dire qu’ils ont été les persécuteurs de l’humanité qui leur élève des autels.

Faut-il donc dire que la morale, avec laquelle on a toujours essayé de mettre un frein aux crimes des sociétés et de ceux qui les gouvernent, ne suffit pas seule à rendre les peuples justes ; que tout en enseignant les grandes vérités, elle ne renferme pas en elle des motifs assez puissants pour en forcer l’exécution, et qu’il faille que le progrès de la raison vienne éclairer les hommes sur leurs véritables intérêts pour les contraindre à pratiquer enfin ce qu’ils admettent depuis des siècles ?

Quels sont ces intérêts ? les sciences nouvelles, l’industrie, l’économie politique sont venues les apprendre ; et de cette alliance de la raison éclairée avec les principes de l’éternelle justice naîtront sans doute le progrès et le bonheur de l’humanité. Eh quoi ! ce résultat n’est-il pas déjà en grande partie obtenu ? L’esprit de conquête ne le cède-t-il pas tous les jours à l’esprit nouveau qu’a rendu tous les peuples pour ainsi dire solidaires les uns des autres ? La guerre qui est la force armée pour un droit contre un autre droit ne recule-t-elle pas incessamment devant la science qui donne une patrie commune à tous les hommes ? Et lorsqu’il faut aujourd’hui en appeler aux armes, toutes les nations éclairées ne le font-elles pas au nom d’un principe civilisateur, d’un principe de justice, tantôt pour la nationalité, tantôt pour l’indépendance, tantôt pour l’exercice des droits imprescriptibles donnés à l’homme et arrachés aux peuples par l’ambition des despotes ?

Consolons-nous donc des maux qu’a soufferts l’humanité pendant quarante siècles, en songeant à l’ère éternelle de bonheur et de lumières qui s’ouvre maintenant devant elle. La principale cause de toutes les calamités humaines, c’est l’ignorance ; mais aujourd’hui, ce Moloch ténébreux qui ne pouvait se rassasier des sacrifices de nations entières, a été brisé sur ses autels par tous les grands génies qui se sont succédés depuis deux siècles, et qui ont éclairé les peuples. On ne détruira pas ce qui a été si péniblement acquis ; l’arme est tombée des mains des oppresseurs de l’humanité ; et désormais, il faudra consulter au lieu de sacrifier les nations, et leur obéir pour pouvoir les gouverner.

Mais je reviens à mon voyage ; la philosophie naîtra d’elle-même des faits et des observations qui vont faire le sujet de ma nouvelle étude. Il était bon toutefois de se rappeler les principes, afin de ne pas égarer notre jugement.