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LETTRES SUR LE CANADA.




PREMIÈRE LETTRE.




Langevin à d’Hautefeuille.
Québec, 1er octobre 1864.

Enfin, mon cher ami, je suis arrivé sur cette terre du Canada dans cette patrie des héros ignorés, qui, pendant cent ans, ont lutté contre les forces réunies de l’Angleterre et de ses colonies américaines. J’ai vu les enfants de la France, je suis au milieu d’eux, je leur parle ; et ce que je vois, ce que j’étudie, ce que j’entends, je vais vous en faire le récit.

Si l’appréciation exacte et raisonnée des choses doit diminuer l’enthousiasme de nos souvenirs communs, du moins, nous trouverons une ample compensation dans les connaissances nouvelles que nous aurons acquises, et dans le plaisir secret de voir les illusions mêmes sacrifiées à l’ascendant de l’observation et de la vérité.

L’histoire ne donne pas le détail des mœurs intimes ; elle ébauche à grands traits la vie des peuples ; elle raconte leurs luttes, leurs souffrances, leurs triomphes : elle déroule leur histoire politique, leurs phases successives de gouvernement et de condition sociale. Mais entraînée par ce vaste tableau des choses extérieures et frappantes, elle oublie souvent ce qui éclaire et ce qui touche vraiment le lecteur, c’est-à-dire les aspirations et les pensées secrètes du peuple. Toutes les histoires se ressemblent, de même que toutes les villes ont des rues et des maisons. Tous les peuples naissent, puis s’éteignent d’après les mêmes lois, et presque toujours d’après le même ordre de faits ; et jusqu’à ce que la guerre ait disparu du code des nations, que la politique soit devenue l’art de rendre les hommes heureux et unis, au lieu de les asservir à l’ambition de leurs chefs, nous aurons éternellement le même spectacle de calamités, de haines fratricides, de nations détruites les unes par les autres, et de préjugés étouffant les plus simples notions d’humanité et de justice. Les hommes n’ont pas encore appris à s’aimer, malgré la grande parole du Christ.