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que la religion elle-même ; mettons donc à profit tous les instincts grossiers du vulgaire. »

« Croyez-vous qu’ils se soient arrêtés là ? Pourrait-on posséder le cœur de la société sans en posséder en même temps la vie, le nerf, la force ? Non.

« À côté des confréries, ils ont donc fondé d’autres institutions, et celles-là, ce sont pour les jeunes gens. Là, ils font une propagande acharnée, impitoyable ; ils parlent à des hommes, il faut bien avoir d’autres moyens ; il faut se démasquer un peu, et proclamer avec frénésie la nécessité absolue de détruire la raison humaine, ce monstre abominable que Dieu n’a mis en nous que pour nous égarer. « Mais d’abord, disent-ils, faisons voir à la jeunesse tout ce qu’elle peut gagner à nous servir, fortune politique, bonheur de la famille, considération ; intéressons-la par ambition et par intérêt à propager notre influence. Qu’importe qu’elle soit sincère ou non, pourvu qu’elle nous serve ? avons-nous besoin qu’elle le soit plus que nous ? Qui donc peut sonder les secrets infinis de la Providence ? et ne se sert-elle pas souvent d’instruments misérables pour arriver à des fins glorieuses ? » — Et pour aider la Providence, ils répandent partout à grands traits le fanatisme, l’intolérance, l’acharnement sectaire. Ici, ils ne se cachent plus, en avant ! tenant les femmes par le cœur, les hommes par l’ambition, ils osent tout, ils écrivent tout. Voyez leurs maximes, voyez leur polémique, et reculez d’épouvante.

« je connais tel Jésuite à Montréal qui passe son temps à courir les bureaux, les familles, etc., pour recruter des jeunes gens et les enfouir dans l’Union Catholique. Ah ! vous ne connaissez pas cette institution ! c’est l’antichambre du paradis. « Heureux les simples d’esprit, » a dit l’Écriture. Eh bien ! dites moi, où, quand, chez quel peuple, avez-vous jamais vu une propagande aussi acharnée ? croyez-vous que nous n’allons pas devenir tous jésuites, ou congréganistes, ou enfants du sacré-cœur ? pourquoi pas ? ne serions-nous pas plus religieux, et la société ne doit-elle pas être gouvernée par des hommes religieux ? Voilà ! et c’est avec une jeunesse de cette étoffe qu’il faut préparer tout un peuple à l’émancipation et au progrès qui est la liberté de l’esprit. Et voyez-vous ce qui arrive ? si après tout cela, moi, père de famille, je veux penser et agir librement chez moi, on me fera autant d’ennemis de tous ceux qui m’entourent. Combien d’hommes je connais qui ne pratiquent un semblant de religion que pour ne pas être en guerre continuelle avec leurs femmes, leurs enfants et leurs amis !

« Il y a des hommes qui se révoltent contre ce despotisme inquisitorial, qui voudraient à tout prix le voir anéanti ; mais ils n’osent pas, ils craignent d’attaquer cet ordre puissant qui manie à son gré la société. Puis,