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ses pensées, de ses croyances, et de n’admettre d’autre autorité en fait d’opinions que celle de la vérité péniblement acquise et irréfutablement démontrée. C’est là le fruit du libre examen, dont le but est de parvenir à la vérité, au lieu de vouloir la détruire. Une vérité qui n’a pas été étudiée, controversée, soumise à toutes les investigations, n’est pas digne d’être appelée telle : elle ne peut servir qu’au vulgaire et aux ignorants qui admettent tout sans rien comprendre, et qui n’ont d’autre guide que l’autorité ; tandis que la vérité qui naît de l’examen a le noble privilège de s’imposer même aux esprits les plus sceptiques, et aux intelligences éclairées qui l’avaient d’abord combattue.

« Voyez où conduit le manque d’examen : à admettre comme vraies des choses manifestement fausses, à persévérer dans cette erreur pendant des siècles, comme à propos de la physique d’Aristote et des théories médicales de Galien. De là, tant de préjugés qui s’enracinent dans l’esprit du peuple. L’erreur d’un grand génie croît en prestige avec le temps, et multiplie le nombre de ses dupes. On craint de contester ce qui est établi depuis des siècles ; en outre, des circonstances dangereuses viennent favoriser et maintenir l’esclavage de l’esprit. Dans les temps d’ignorance, l’autorité s’arme contre les penseurs hardis qui, pour faire taire les doutes incessants qui les poursuivent, et qui, ne pouvant se décider à croire parce que les autres croient, osent chercher la vérité en dehors de la parole du maître ; témoin, les craintes continuelles de Copernic, qui ne lui permirent de publier ses œuvres qu’à la fin de sa vie, et l’emprisonnement de Galilée. Les premiers essais de la médecine, au sortir de la barbarie du moyen âge, furent traités de sortilèges, et bon nombre d’hommes qui ne cherchaient que la science furent brûlés comme magiciens ; tant il est vrai que le despotisme redoute la lumière par instinct, de même que l’ignorance la combat par aveuglement.

« Qui ne voit que le défaut d’examen est la négation absolue de toute espèce de progrès, en ce sens qu’il borne fatalement l’esprit humain à un certain nombre de maximes érigées en dogmes, qu’il ne lui permet pas de comprendre, et dont il ne lui permet pas de sortir ; des maximes qui n’ont souvent d’autres bases que des hypothèses, des conventions, et parfois des puérilités qui prennent dans le merveilleux un caractère imposant qui subjugue le vulgaire ? Qui ne voit que c’est le défaut d’examen qui, avant Bacon, a fait peser sur le monde toute la pédanterie encyclopédique de cette prétendue science qui consistait à compiler tous les livres, et à rassembler toutes les erreurs dans de gros volumes, plutôt que d’interroger le livre immense de la nature qui eût dévoilé les véritables lois des choses ?…

— « Mais, Monsieur, fis-je en interrompant M. d’Estremont, et tout