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tout l’effort de ses citoyens se perd à étayer, à soutenir debout des maisons qui s’écroulent, à rapiécer, à combler des crevasses, à refaire du neuf avec du vieux et à blanchir les loques. — Quelques petites industries ont pris naissance, mais les grandes ont disparu, et d’autres plus grandes encore, que réservait à la capitale son développement naturel, n’ont pas même vu le jour. Oui, depuis vingt-cinq ans, nous diminuons, nous cédons du terrain tous les jours, la propriété tombe d’année en année et ses possesseurs perdent de plus en plus les moyens de la rétablir ; tous, en général, nous perdons ce que nous aurions pu acquérir durant ce quart de siècle de merveilleux progrès qui a vu s’élever par centaines des cités dans des régions inconnues, et des villes au berceau devenir de grandes métropoles.

Si le génie actif de notre époque, si l’esprit d’entreprise eussent fait pour nous ce que la nature les conviait à faire, si nous avions seulement suivi une marche proportionnée à celle d’autres villes placées dans des conditions bien inférieures, Québec serait en voie de devenir aujourd’hui le premier port de mer de l’Amérique du Nord, si l’on en excepte New-York qu’il est impossible d’atteindre, même à pas de géant. — Quoi ! Québec, capitale d’un pays constitutionnel depuis 1791, n’a pas même les édifices publics nécessaires. Les ministères sont à loyer et ils y seront encore jusqu’à… jusqu’à ce qu’on les réunisse dans une vieille caserne rafistolée pour les recevoir. Le parlement n’est qu’une masure de briques et d’étoupe que le feu avertit tous les trois mois, et que la neige envahit par vingt ouvertures au moindre vent. Les deux ou trois rues commerciales de la ville offrent en maints endroits de misérables taudis lézardés, crasseux, noircis, suintant la moisissure, pendant que des espaces entiers, et de vastes espaces, restent vides de toute construction ; à chaque pas, on heurte des décombres ; des restes de maisons, et d’autres, devenues inhabitables et abandonnées, se dressent partout sous les yeux ; des vieilleries de toute espèce jonchent ce sol si jeune où devraient s’ouvrir les vastes avenues et les vivantes artères d’une ville de cent cinquante mille âmes ; nous vivons, nous, habitants d’un monde nouveau, comme les fossiles d’un monde ancien ; nous desséchons sur pied et nous restons renfermés dans nos murailles comme des momies dans leurs bandelettes, attendant que nous n’ayons plus absolument rien à faire que de pleurer sur tant de débris qu’un souffle de volonté et de détermination suffirait à convertir en splendeurs.

Voyez nos hôtels, ils sont vides ; les rues ne montrent jamais que les mêmes figures, le plus souvent oisives, comme fatiguées de leur monotonie réciproque ; rien ne vit, pas d’animation, on n’ose remuer de crainte de faire des faux pas. Le capital est défiant, jaloux, toujours sur ses gardes, détestant le nouveau, ne voulant rien favoriser : le commerce est craintif, il suit son sillon tête baissée, yeux fermés, avec l’effroi des routes inconnues. La hardiesse et la conception sont des témérités bien près d’être des folies ; ceux qui peuvent beaucoup ne font rien, et ceux qui feraient beaucoup ne peuvent rien… et, tout cela, pourquoi ? Pourquoi ? parce que Québec, privé de communications l’hiver, avec le monde extérieur, vit durant six mois de sa propre substance, absolument improductif pendant cette morte saison qui dure la moitié de l’année, incapable même de rien préparer pour la belle saison qui suivra.

Et ici, plaçons, au sujet de Montréal, une réflexion dont le cours de cet écrit démontrera la justesse. Qui a fait le Montréal d’aujourd’hui, le Montréal que l’on connaît, cette ville florissante, magnifique, qui, dans un quart de siècle, rivalisera avec New-York lui même, lorsque les canaux auront été élargis et que les chemins de fer y viendront de toutes les directions ? C’est le pont Victoria. Avant que fût construit ce pont qui met Montréal en communication non interrompue, l’hiver comme l’été, avec tout le continent américain, Montréal n’existait pas ou existait comme Québec, ce qui revient au même. — Depuis, des relations constantes avec les américains, un échange quotidien d’idées, une émulation toujours entretenue, des projets succédant aux projets, des entreprises nouvelles chaque jour mises en avant, un courant énergique et rigoureux, sans