Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours en colère, à entendre leurs mugissements répondre aux vents de l’espace, à les entendre sourdement gronder au moindre bruit, ou quand les eaux, repoussées sous la proue des navires, se rejettent sur leurs flancs tumultueux. Écoutez… le sifflet du bateau à vapeur a retenti ; l’écho dormait tranquille dans les antres profonds des noires montagnes ; soudain, à ce cri aigu qui traverse l’air, il s’éveille, il s’agite, il pousse un gémissement terrible qui, sorti des entrailles du cap, se précipite de vallées en vallées et de ravines en ravines, court comme un long frissonnement le long des rivages, s’engouffre dans les précipices, les remonte en bondissant, frappe les plateaux lointains, puis doucement, se ralentit, se calme et va s’éteindre enfin dans quelque gorge étroite où il arrive comme étouffé.

On a donné au cap Trinité son nom parce qu’il est en réalité formé de trois caps égaux de taille et d’élévation, dont le premier comprend également trois caps disposés en échelons et formant comme trois étages superposés. Tous ces caps, dressés à pic, présentent une vaste face nue, taillée à arêtes vives, coupée net et comme dans le même moment par quelque instrument mystérieux de la nature. En face, de l’autre côté de la rivière, et comme pour apporter un contraste de plus dans ces lieux où le contraste abonde, où les aspects varient et se combattent pour ainsi dire si souvent, on voit s’élever humblement sur la rive un petit chantier de bois de corde et de bardeaux, tandis que derrière les deux grands caps Éternité