Page:Buies - Le Saguenay et le bassin du Lac St-Jean, 1896.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LES CAPS « TRINITÉ » ET « ÉTERNITÉ »

Mais aucun rocher, parmi tous ceux dont la bordure violente et tourmentée fatigue les eaux qui la caressent, et dont les cimes sourcilleuses se penchent sur le Saguenay en l’inondant de leurs ombres, n’égale en étrange et formidable majesté les deux caps dont les noms seuls éveillent dans l’imagination le sentiment d’une exceptionnelle grandeur. Ces deux caps sont ceux de l’Éternité et de la Trinité, géants des monts qui plongent à près de mille pieds de profondeur dans la rivière et qui s’élèvent tout droits de cet abîme jusqu’à une hauteur de quinze à dix-huit cents pieds, comme si les entrailles de la terre, fatiguées d’un pareil fardeau, les avaient rejetés brusquement d’un seul coup.

Le cap Éternité est plus haut que son frère jumeau, mais il s’est quelque peu adouci sous la main des âges et il a laissé une épaisse chevelure de sapins couronner en paix son front et descendre sur ses flancs creusés de rides profondes. Il a une forme à peu près régulière et non le torse ni l’encolure violente du cap Trinité, qui semble vouloir à toute heure déclarer la guerre aux éléments. Et ce caractère, celui-ci le communique à tout ce qui l’entoure ; on n’arrive à lui qu’après avoir vu défiler devant soi tout un rang de rochers abruptes, jetés en désordre sur le front de bataille, et qui ont pris place à la hâte pour essuyer le premier choc, pour recevoir la formidable averse des cieux irrités. On les dirait