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delà de l’espace que la vue peut embrasser. Tout cela donne comme une impression de soulagement et offre au regard un aspect doux et aimable dont il est avide, après avoir contemplé, pendant une longue succession de milles, des rivages inhospitaliers, barbares, où ne se voient que quelques habitations isolées, et, çà et là, des buttes faites de troncs d’arbres, avec un toit écrasé, recouvert d’écorce et percé au centre pour laisser s’échapper la fumée du gîte.

À la Grande-Anse on a passé la partie montagneuse du Saint-Maurice, celle qui a la physionomie la plus tranchée et la plus formidable. On a dépassé, entre autres, le mont Caribou, drapé dans ses énormes masses de granit qui ne laissent échapper que de maigres broussailles à travers leurs fissures ; on a dépassé aussi et surtout le mont L’Oiseau, mont aussi haut que celui des Maurice, mais encore plus droit, semblable à un géant de pierre dressé dans toute sa hauteur. De grands arbres le couronnent et répandent une ombre menaçante sur ses flancs. Il est plein de mystères et de redoutables légendes. On n’ose se reposer à ses pieds, de peur d’entendre des cris d’angoisse et des froissements de chaînes. La tradition rapporte qu’il s’y fit jadis un grand massacre, dans les temps très reculés ; de là les gémissements des victimes que l’on entend encore, et les airs mystérieux dont s’enveloppe à plaisir ce mont où, sans doute, les oiseaux de nuit seuls se rencontrent et se réunissent, pour concerter d’affreux complots contre la race humaine amoureuse des légendes, ou,