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violente d’une formation arrêtée dans son cours, et qui gronde, et qui s’irrite de ne pouvoir jamais se compléter, d’attendre en vain l’œuvre patiente, mais sûre, du temps qui accorde son heure à tout ce qui existe.

Les montagnes paraissent avoir été jetées là au hasard, comme dans une épouvantable mêlée où les combattants sont restés debout, foudroyés sur place. Dans ces entassements informes on respire comme un souffle encore tout récent de cataclysme, et bien des siècles encore passeront sans rien enlever à cette nature de son horreur tragique. Tout y tremble de l’entrechoquement, de la fureur des éléments repoussés dans leur essor : on se sent, en pénétrant dans ce chaos immobilisé, aussi petit que l’atôme, et l’on a comme une secrète terreur d’y être englouti sans retour.

Quand le Saguenay, jusqu’alors ignoré sur la carte du monde, s’est précipité pour la première fois dans cette gigantesque crevasse de mille pieds de profondeur, quand il entra pour la première fois dans ce lit bouleversé où les gouffres ne faisaient que de s’entr’ouvrir, ce dut être avec un bruit qui fit trembler au loin la terre ; il dut y plonger en bondissant, mugir avec des bruits d’abîme dans le chaos, et ses eaux, durant de longues, bien longues suites de siècles, escaladèrent sans doute de terribles sommets avant de conquérir enfin un niveau assuré et tranquille.

II

La rivière Saguenay, nous l’avons vu plus haut, débouche dans le fleuve Saint-Laurent, après avoir suivi un